Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/440

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mes sympathies pour un génie si intimement révélateur m’égarent, mais on ne saurait, à mon sens, rien observer de si vrai, de si juste, de si définitif sur la nature élémentaire des beaux-arts, sur cette consanguinité virtuelle, ignorée du vulgaire, qui, dès le premier coup d’œil, frappe l’initié, l’adepte. Plastique, musique, poésie, élémens essentiels de toute œuvre haute et durable, éternels élémens que des circonstances passagères seules divisent, et qui tôt ou tard se rejoignent! Juger, c’est comprendre; comprendre, c’est sentir. Si le peintre étudie la forme et la couleur, si le musicien étudie le son, le mécanicien l’équilibre des forces, le critique se. rend compte à la fois de la forme et du son, de la couleur et des forces, et plane par la contemplation philosophique au-dessus de cette vie identique et multiple.

Ce que j’aime chez M. Beyle, c’est justement un esprit philosophique disposant des connaissances les plus variées, une érudition intelligente sans cesse éprise d’analogies. Qu’il s’agisse d’architecture et de peinture comme dans les Promenades dans Rome et l’Histoire de la Peinture en Italie, ou de musique comme dans certaines de ses improvisations sur Mozart, Haydn et Rossini, avec lui on peut toujours s’attendre à une critique d’autant plus compétente, que la spécialité n’y vient point à tout propos rétrécir l’horizon. Quel que soit le sujet qu’il traite, M. Beyle trouve toujours moyen de le rattacher à la famille commune; le trait sera tantôt une comparaison musicale jetée au beau milieu d’une discussion sur la peinture, tantôt un terme architectural survenant en pleine musique. Il y a chez lui comme un rayonnement perpétuel du centre à la circonférence, qui, dans l’Histoire de la Peinture en Italie, va vous rappeler le dilettante exquis, l’habile connaisseur en tablature, de même qu’une autre fois il trahira l’archéologue dans l’appréciation de Cimarosa. C’est du reste un procédé qu’employait Diderot, lorsque, l’amateur de musique (on ne disait pas encore dilettante) déteignant en quelque sorte sur le critique des Salons, il s’écriait : « L’arc-en-ciel est en peinture ce que la basse fondamentale est en musique. » D’où je conclus qu’il n’y a dans ce monde qu’analogies, et que le seul moyen de connaître un art et d’en juger avec autorité, c’est de commencer par les sentir tous.

Pour nous en tenir à la musique, je le demande, qui oserait aujourd’hui circonscrire la discussion d’un chef-d’œuvre de Mozart ou de Beethoven, de Rossini ou de Meyerbeer, entre les étroites limites du formulaire scolastique ? Qui oserait aujourd’hui admirer certaines partitions de ces maîtres uniquement au point de vue de ce qui est l’art musical proprement dit ? Des notes qui se groupent à souhait pour la mélodie ou s’enchevêtrent pour le contre-point, serait-ce là