Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il dépouille de leur appareil trop abstrait. Il mêle la biographie à la science, l’histoire à l’exposition d’une théorie. Le malheur de M. Arago, c’est de trop souvent rencontrer la politique et de la saluer par des allusions qui ont vieilli nécessairement. Un des plus remarquables fragmens de ce volume par son intérêt et par sa nouveauté est celui que M. Arago appelle Histoire de ma Jeunesse. On sent parfois dans ces pages comme une flamme qui se réveille. Il n’y a là qu’un simple récit du séjour fait en Espagne par M. Arago vers 1807 pour prolonger la mesure de la méridienne ; mais dans ce récit que d’incidens et de péripéties ! Étrange destinée ! M. Arago va en Espagne ; seul sur quelque montagne entre l’Aragon et Valence, il passe son temps à décrire des arcs et à observer des signaux, et pendant cela la guerre s’allume, la tempête éclate ; le jeune savant est lui-même pris dans la tourmente ; il est jeté de Majorque à Alger ; il voyage avec des corsaires ; il est traité comme prisonnier, et au bout de son odyssée il retrouve la France avec son bagage d’observations scientifiques. N’est-ce point l’image des sciences et des lettres jetées souvent au milieu de toutes les tempêtes, traînées comme des prisonnières obscures et finissant par retrouver leur pmssance en agrandissant encore leur domaine et leur sphère d’action ?

De cet immense mouvement imprimé dans notre siècle à toutes les classes de l’intelhgence, il est résulté un fait qui marque une phase caractéristique dans le développement de l’esprit humain : aujourd’hui les sciences ne ivent plus isolées, indépendantes l’une de l’autre ; elles se prêtent un mutuel appui. L’historien a besoin de se rendre compte de la raison philosophique des faits, et le philosophe a besoin de la lumière de l’histoire. L’étude des questions économiques ne prend tout son intérêt que quand on la place au centre de la vie réelle d’un peuple. L’écrivain trouve de singuliers enseignemens dans la pratique poUtique, et l’homme d’état à son tour double ses forces de toutes les ressources d’une raison cultivée, élevée et instruite par la connaissance de l’histoire, des arts et des lettres. En un mot, c’est une alhance de toutes les facultés de l’esprit et de l’observation appUquées à ressaisir les divers aspects des choses et conduisant, dans le domaine de l’action, à une intelligence plus étendue des affaires humaines, — dans le domaine littéraire, à des tableaux plus larges, plus complets et plus vivans. L’étude de l’agriculture elle-même s’anime ainsi et s’élève. Et en effet, est-ce que le développement des intérêts agricoles d’un pays ne touche pas à tout, à l’histoire du peuple, à son génie, à ses mœurs, à l’esprit de législation, à la nature des institutions politiques, à toutes les combinaisons de l’activité nationale ? C’est la réunion de ces élémens qui fait des études de M. Léonce de Lavergne sur l’Économie rurale de l’Angleterre un livre non-seulement utile et d’une portée pratique, mais intéressant et varié. M. de Lavergne, on le sait ici de reste, n’a point étudié minutieusement des lois et des règlemens ; il a été mieux inspiré, il a pris le développement agricole de l’Angleterre sur le fait, dans les comtés, dans les fermes du Hampshire et du Warwick, animant la statistique par l’histoire, et l’exposé des procédés agricoles par la description des lieux. Dépouillez toutes ces questions de culture et de produit brut, d’élevage des bestiaux et de salaires : vous trouverez au fond l’analyse la plus exacte de la vie pratique anglaise ; vous verrez comment cette puissance bri-