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spectacles. De tels combats sont toujours douloureux : ici du moins la vue n’est pas blessée; on peut regarder sans horreur. Ce n’est pas une populace qui se rue sur la royauté, par haine et par envie, pour obéir à de hideux instincts, pour se gorger de sang et de pillage; c’est un peuple irrité sans doute, exigeant, ombrageux, mais qui ne prend les armes qu’après de longs essais de paix et d’accommodement, un peuple qui ne veut pas détruire la royauté, qui la respecte au contraire comme un des biens que lui ont transmis ses pères, qui ne peut s’en passer, l’avenir le prouvera, qui la voudrait conserver, et qui pourtant s’attaque à elle, parce qu’elle met en péril un autre bien qu’il entend ne point perdre, un bien qu’il tient aussi d’héritage, ses franchises, ses libertés. Des deux côtés, on ne se bat que pour son patrimoine, mais, de peur d’en rien perdre, on usurpe des deux côtés. Le pouvoir que le roi s’attribue, ce ne sont pas les anciens droits de la royauté d’Angleterre, c’est le pouvoir absolu; les réformes que le peuple réclame, ce ne sont pas ses vieilles garanties, c’est l’omnipotence de la chambre des communes, c’est-à-dire, sous une autre forme, le pouvoir absolu. L’idée d’une transaction, d’un partage, ne se fait jour nulle part. Tout ou rien, le tout pour le tout, on ne comprend pas autre chose. C’est donc une guerre à mort. A qui restera la victoire ? Qui des deux succombera ? Question terrible, et longtemps incertaine. La péripétie se prolonge même après la victoire. Les vainqueurs iront-ils jusqu’au bout ? Ils semblent hésiter; puis vient un brusque dénoûment : le dernier mot reste à la force. Mais tout n’est pas fini; le monarque tombé, l’homme ou plutôt le chrétien se relève. Il fait oublier sa vie. On lui pardonne ses faiblesses, on l’absout de ses duplicités; on ne voit qu’une immense infortune royalement soutenue; on s’incline devant une admirable mort.

Rien de tout cela ne se retrouve dans la seconde phase de la révolution d’Angleterre. Avec la république, avec Cromwell, il ne faut pas s’attendre à ce genre d’émotions. La victoire est trop complète, les vaincus n’ont plus de rôle. Dès lors, plus d’incertitude, plus d’espoir, plus d’attente; peu d’occasions de grandes scènes et de pathétiques tableaux. La part de la poésie, du romanesque, s’amoindrit et s’efface; la scène est toujours grave, sévère, presque uniforme. C’est de la pure politique, et de la politique qui n’a rien de pittoresque : subtile, obscure, empreinte, pour ainsi dire, de cet esprit de secte qui la domine et la conduit. Ajoutez que le pays sommeille, se résigne et se tait. On ne voit poindre un peu de résistance qu’en Irlande, en Écosse, et c’est l’affaire d’un instant. Aucun danger véritable ne trouble les vainqueurs; ils peuvent froidement soutenir leur gageure, poursuivre tant qu’ils veulent leurs essais de gouvernement. C’est une expérience, une pure démonstration de cette éternelle vérité,