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à la course. L’auteur a su traiter tous ces sujets avec une variété d’accent qui lui fait le plus grand honneur. Tour à tour énergique et gracieux, il a trouvé pour l’expression de ces actions si diverses une série de mouvemens toujours vrais. Tous ces petits poèmes sont très heureusement conçus, et je ne serais pas étonné de voir bien des spectateurs les préférer au Triomphe de la Paix. Je ne partagerais pas leur prédilection, mais je ne saurais la condamner, car je reconnais volontiers que ces épisodes de la vie d’Hercule offrent plus d’attrait à l’imagination que le développement d’une idée purement philosophique.

Ce qui me charme surtout dans cette biographie du héros civilisateur, c’est l’abondance et la spontanéité de l’invention. Il n’y a pas une figure, pas une attitude qui accuse la contrainte ou l’épuisement. L’auteur se ment en pleine mythologie comme dans son atmosphère naturelle. Il marche d’un pas ferme et délibéré ; on sent qu’il foule un sol qui lui est familier. Cependant je suis loin de croire que ces compositions soient improvisées. Si la forme n’est pas toujours assez franchement écrite, l’expression est toujours vraie, et, pour atteindre à une pareille vérité, il faut réfléchir longtemps avant de prendre le crayon ou le pinceau. Quoi qu’on puisse penser de l’exécution envisagée au point de vue scientifique, il est certain qu’il n’y a pas trace de précipitation. L’auteur a pris son temps et n’a rien mis sur la toile sans avoir interrogé sa pensée dans tous les sens. S’il ne réussit pas à contenter tous les juges, s’il n’achève pas toujours ce qu’il a conçu, s’il n’écrit pas sa volonté en termes assez précis, on sent du moins qu’il n’a rien livré au hasard. Étant donné ses habitudes, il a fait tout ce qu’il pouvait faire.

Ici je m’engage sur un terrain délicat. Est-il permis à un artiste, si ingénieux qu’il soit, de ne pas achever l’expression de sa volonté, d’abandonner son œuvre avant d’en avoir déterminé tous les contours ? Non sans doute. Dans le domaine de la théorie, la réponse n’est pas douteuse ; mais qui oserait affirmer que M. Delacroix ferait mieux en travaillant plus lentement ? À coup sûr ce n’est pas moi. Il tâtonne, il hésite longtemps, comme tous les esprits qui mesurent les difficultés de leur tâche ; mais une fois qu’il a pris son parti, il a hâte d’arriver au but. La rapidité de l’exécution est une des nécessités de sa nature. Il essaierait en vain de travailler lentement : il gâterait son œuvre au lieu de l’améliorer ; il se refroidirait, il prendrait sa tâche en dégoût, et nous perdrions la meilleure partie de son talent.

C’est pourquoi je ne veux pas le juger d’une manière absolue. C’est en pareil cas qu’il faut se rappeler la maxime antique : La justice rigoureuse n’est trop souvent qu’une souveraine injustice. Jouissons