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tombé dans un état de faiblesse et d’avilissement, ne pouvait opposer aucune barrière aux flots chaque jour grossissans des Turks. Déjà, en 1040, ils avaient pénétré sur le territoire arménien, d’où ils furent d’abord repoussés. En 1060, ils l’inondèrent comme un torrent dévastateur et se jetèrent sur la province d’Ararad. Le sultan Alp-Arslan prit la ville d’Ani et la saccagea de fond en comble. Dès ce moment, cette ville appartint tour à tour à une famille d’émirs kurdes, aux rois de Géorgie et aux sultans seljoukides de la Perse, qui s’en disputèrent la possession jusqu’à l’année 1239, où elle devint la proie des féroces Mongols. La nature elle-même semblait seconder l’action destructive de la main de l’homme : Ani, ébranlée par de violens tremblemens de terre, ne présenta plus bientôt qu’un immense amas de ruines. Les Turks, après avoir franchi l’Euphrate, firent la conquête de l’Asie-Mineure, et poursuivirent les Grecs jusque sous les murs de Constantinople. L’Arménie avait été entièrement soumise par eux, et le petit nombre de chefs que le glaive avait épargnés se retirèrent dans des forteresses situées au milieu de montagnes inaccessibles. Les sultans seljoukides abandonnèrent le gouvernement du pays à des émirs turks ou kurdes, et les infidèles y dominèrent dès lors sans partage.

À la mort du dernier des Bagratides, l’un de ses généraux, Roupên, qui était aussi son parent, se jeta, avec une poignée d’hommes dévoués et d’action, sur les terres de l’empire grec en Cilicie et se retrancha dans les gorges du Taurus. Il y fonda le royaume de la Petite-Amiénie et une dynastie appelée, de son nom, roupénienne, qui fut presque toujours en guerre avec les Turks de l’Asie-Mineure et avec les empereurs de Byzance. Les premiers successeurs de Roupên ne portaient que le simple titre de prince ou chef (isehkhan) ; ils l’échangèrent plus tard contre celui de baron, qui leur fut conféré par les croisés en reconnaissance des services qu’ils leur rendirent, et enfin contre celui de roi, que l’empereur Frédéric Barberousse accorda à l’un de ces princes, Lévon ou Léon. Comme chrétiens, les Arméniens de Cilicie devinrent les alliés naturels des Latins, et combattirent dans leurs rangs. D’intimes et fréquentes relations s’établirent entre eux : les rois roupéniens contractèrent des alliances avec les princes d’Antioche, de souche normande, et avec les Lusignan de Chypre. Le comté d’Édesse, qui était peuplé d’Arméniens, relevait d’une famille française, les Josselin de Courtenay. Lorsqu’au XIIIe’ siècle les Mongols se précipitèrent du fond de leurs steppes sur les riches et fertiles contrées de l’Asie occidentale, la Grande-Arménie fut une des premières contrées qu’ils envahirent et dévastèrent. Étant venus fondre sur le sultan seljoukide d’Iconium, le roi de la Petite-Arménie, Héthoum Ier, voulant détourner de ses états ces hordes auxquelles rien ne résistait, s’empressa de se reconnaître vassal du