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mystérieux et fascinateur. La scène se passe dans le royaume de Naples, où Gemma doit épouser un prime de Tarente qu’elle déteste, parce qu’elle aime de tout son cœur un peintre célèbre nommé Massimo. — La lutte se termine par un coup d’épée, qui précipite le marquis de Santa-Croce du haut d’un rocher. C’est là l’épisode le plus intéressant de l’histoire, parce qu’il en est le dénouement. La musique est du comte Cabrielli, de Naples, qu’on assure avoir quelque célébrité dans ce genre de composition où se sont exercés, en France, des musiciens d’un vrai mérite. Quant à Mme Cerrito, l’héroïne de ce drame, elle aurait pu être mieux inspirée comme chorégraphe en nous offrant l’occasion d’apprécier l’agilité, la vigueur et la morbidesse de ses pauses. On dirait que la fatigue a un peu alourdi déjà ses jarrets d’acier.

Le théâtre de l’Opéra-Comique ne s’endort pas sur ses lauriers. Avec un personnel très ordinaire, où l’on chercherait vainement une voix naturelle qui sente l’herbe fraîche et le serpolet, il obtient des succès profitables et souvent légitimes. Le nouvel opéra en trois actes qu’il vient de donner, la Fiancée du Diable, n’est pourtant pas un chef-d’œuvre d’invention et d’intérêt. C’est une vieille histoire de revenons que M. Scribe a contée mille fois, et qui ne fait plus peur même aux enfans. Écoutez un peu. Il y avait autrefois dans le Comtat-Venaissin une jeune fille très gentille qui s’appelait Catherine Baju. Demandée en mariage une, deux et jusqu’à trois fois, on avait vu manquer ces combinaisons matrimoniales, sans qu’on pût s’expliquer la cause d’un pareil mystère. La veille du jour où Catherine Baju doit épouser son second fiancé — Pistoïa, le plus riche fermier de l’endroit, celui-ci reçoit une lettre menaçante qui lui enjoint de ne point accomplir cet hymen, s’il tient à la vie. Pistoïa y tient beaucoup, et abandonne à regret un projet qui lui souriait à cause d’une bonne dot de deux mille écus à la rose qu’il se voit obligé de restituer au grand-père de Catherine. Mais quel est donc le mystère qui fait manquer encore une fois l’union d’un couple si bien assorti ? Apprenez que Catherine Baju a été depuis son enfance promise au diable par son père, vieux soldat, qui, ne sachant plus à quel saint se vouer, s’adressa à Satan, toujours disposé, comme on sait, à faire du commerce. Après beaucoup de pourparlers, après un troisième mariage, conclu cette fois, mais non pas consommé, avec Andiol, pauvre armurier qui aime Catherine depuis longtemps sans oser le lui avouer, on découvre que le diable qui écrit de si belles lettres sur du papier couleur de flamme n’est autre que le marquis de Langeais, grand seigneur et libertin fieffé, qui a rencontré un diablotin plus rusé que lui dans la personne de Gilette, sœur de l’armurier Andiol. L’histoire finit par un double mariage qui satisfait la morale et la sainte inquisition, dont il est beaucoup question, on ne sait trop pourquoi, dans cette pièce de MM. Scribe et Romand.

La musique de la Fiancée du Diable est de M. V. Massé, jeune compositeur qui s’est fait depuis dix ans une réputation gracieuse par trois opérettes qui sont restées au répertoire, la Chanteuse voilée, Galatée et les Noces de Jeannette. On avait remarqué dans la manière de M. Massé une certaine recherche, — dans le choix de ses mélodies des accompagnemens ingénieux, une harmonie finement burinée et de louables efforts pour éviter les lieux communs et les formes qui vont enrichir la défroque du vaudeville. M. Massé n’avait sans doute encore ni un style suffisamment mûr ni assez d’originalité