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trompant la vigilance des chefs du mouvement, de Santa-Rosa lui-même. La dernière chance était ainsi enlevée à cette révolution, demeurée seule et réduite à mourir avec héroïsme. Dictateur de l’insurrection piémontaise dans cette période extrême, Santa-Rosa multipliait vainement les efforts ; vainement il illustrait de quelques mâles accens cette entreprise désespérée dans un ordre du jour où il cherchait encore à se couvrir de l’autorité du régent : il ne parvenait qu’à réunir un petit corps de troupes de moins de trois mille hommes sous le nom d’armée constitutionnelle, tandis que le reste de l’armée, rentrant dans l’obéissance, se replaçait sous les ordres du comte de La Tour, appuyé d’un contingent autrichien qui s’approchait du Tessin. Le 8 avril, tout se dénouait à Novare par une rencontre entre ces forces inégales, — et cette révolution de trente jours avait vécu. De ceux qui y avaient pris part, les uns subissaient des peines cruelles, d’autres étaient dispersés dans l’exil ; Santa-Rosa devait aller mourir en Grèce. Supposez une révolution de juillet survenant en France vers 1821, aboutissant à l’abdication de Louis XVIII, à l’avènement de Charles X, et ajournant indéfiniment le libéralisme de cette époque : la révolution piémontaise n’est guère autre chose sur un plus petit théâtre.

Le prince de Carignan avait-il été un conspirateur, comme l’ont laissé croire les partisans de la réaction piémontaise ? Était-il un traître au dernier moment, comme l’ont dit les révolutionnaires dans leur défaite ? Il n’était ni l’un ni l’autre. C’était simplement un jeune homme agité d’instincts généreux et cachant certaines irrésolutions naturelles au milieu de ses entraînemens les plus passionnés, qui, une fois jeté à l’improviste dans des circonstances où bien d’autres auraient faibli, s’était trouvé impuissant à concilier ses aspirations patriotiques avec ses devoirs de prince. Après avoir par son attitude, par ses paroles, froissé le sentiment des absolutistes, éveillé les espérances des libéraux, il devait rencontrer les injustices des uns et des autres : c’était la fatalité de sa situation. Transportez-vous vingt ans plus tard, vers 1839 : seul, renfermé dans son château de Raconis avec la tournure religieuse que son âme avait prise, Charles-Albert revenait sur cette période amère de sa vie qui était son tourment, et lui-même il déposait sa pensée dans quelques pages inscrites sous ce titre : Ad majorent Dei gloriam : « … J’ai été accusé de carbonarisme ! J’avoue que j’aurais été plus prudent si j’avais gardé le silence sur les événemens qui se passaient sous mes yeux, si je n’avais point blâmé les lettres-patentes qui étaient accordées, les formes judiciaires et administratives qui nous régissaient ; mais ces sentimens de ma jeunesse n’ont fait que s’affermir et s’enraciner dans mon cœur… J’ai été accusé de conspiration ! J’aurais été du moins conduit à cela par