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Londres lui disait : Ou vous êtes devenu réellement propriétaire de ces fusils, ou vous ne l’êtes pas ; si vous l’êtes, nous sommes prêts à vous en rembourser la valeur ; si vous ne l’êtes pas, nous entendons les confisquer. — L’Anglais, fidèle aux engagemens pris avec Beaumarchais, résistait, affirmant que les fusils étaient sa propriété, invoquant son droit d’en disposer à sa guise, et ce respect de la légalité, qui distingue et honore le gouvernement anglais entre tous les gouvernemens, laissait encore la question indécise : les fusils restaient toujours à Tervère, surveillés toutefois par un bâtiment anglais.


II. — BEAUMARCHAIS AGENT DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC.

L’affaire en était là lorsque le comité de salut public signifia à Beaumarchais qu’il eût à repartir pour aller chercher ces fusils, et que s’il ne les ramenait pas en France, ou du moins ne les empêchait pas de tomber entre les mains des ennemis, sa famille et ses biens, à défaut de sa personne, répondraient du succès de l’opération. Beaumarchais objecta qu’en présence d’une affaire de plus en plus compromise, il avait plus que jamais besoin d’argent pour faire lever les embargos multiples qui arrêtaient la livraison de ces armes, et que, puisque le comité avait à la fois sous la main et ses immeubles et ses contrats de rente, c’était bien le moins qu’il lui fournît les moyens de remplir la difficile mission qu’il lui imposait. Le comité, voulant avoir les fusils à tout prix, fit à Beaumarchais une nouvelle remise de 618,000 fr. en assignats, valant au cours d’alors 200,000 fr., en lui promettant de lui faire tenir de nouveaux fonds si cela était nécessaire, et d’adopter, sur sa demande, toutes les mesures qui lui paraîtraient propres à opérer le recouvrement de ces armes. Une délibération du comité, en date du 22 mai 1793, signée Bréard, Guyton, Barrère, Danton, Robert Lindet, Delacroix, Cambon et Delmas, investit Beaumarchais du titre de commissaire de la république pour une mission secrète à l’étranger. Et le voilà, avec ses soixante et un ans, qui part de nouveau, en juin 1793, sous le faux nom de Pierre Charron, assisté de deux amis qui ont également changé de nom, pour aller cette fois en pleine guerre, au milieu même des ennemis de la France, chercher pour la France soixante mille fusils. Dire les innombrables tours et détours qu’il dut faire pour se soustraire aux dangers de cette seconde mission, allant d’Amsterdam à Bâle, de Bâle à Hambourg, de Hambourg à Londres, d’où il reçoit l’ordre de partir sous trois jours, exposer les nombreux subterfuges qu’il dut employer pour empêcher les Hollandais et les Anglais d’enlever les fusils, raconter comment il les fit passer successivement entre les