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commençait avec Akbar, et elle devait, dans la dernière moitié du XVIe siècle, tenter à diverses reprises de conquérir à la foi catholique cette haute intelligence. À d’autres égards, les rapprochemens que nous indiquons ne sont pas moins significatifs. À l’extrémité de l’Occident européen, neuf années seulement avant qu’Akbar vit le jour, Elizabeth naissait (1533) auprès d’un trône qu’elle devait occuper avec tant de gloire, et où elle s’assit presque en même temps qu’Akbar montait sur celui de Delhy[1]. Du règne de cette virile princesse allaient dater la grandeur maritime de l’Angleterre et le nouvel essor des entreprises commerciales qui ont si puissamment contribué à changer la face du monde. Le règne d’Akbar allait créer l’unité politique de l’Hindoustan, et demander à la race hindoue, pour la première fois, son concours au développement d’une civilisation progressive. Enfin, par une coïncidence qui nous paraît merveilleuse, ces deux grandes existences, présidant à des peuples si différens de mœurs, de religion, de langage, séparés par deux continens et par l’immensité des mers, se trouvaient à leur insu liées par une chaîne mystérieuse aux destinées du même empire. Élizabeth, en signant, le 31 décembre 1600, cinq ans avant la mort d’Akbar, la charte de la compagnie des Indes orientales, livrait l’héritage de ce conquérant législateur et les destinées de cent millions d’hommes au génie de la Grande-Bretagne. Remarquons en outre qu’au grand mouvement intellectuel et scientifique qui commençait en Europe avec Copernic, Kepler, Napier, Bacon, Descartes[2], correspond, dans l’Inde gangétique, comme nous le prouverons bientôt, un mouvement analogue, une véritable renaissance, dus à la puissante initiative du fondateur de l’empire moghol. Le doute religieux, philosophique et politique caractérisa cette époque dans l’Hindoustan comme dans l’Occident européen. Les arts et les lettres eurent leur part dans cette double régénération. La Chine entre, à la même époque, dans cette phase de transition qui fera passer aux mains des princes mantchous le sceptre de cet immense empire. Le Japon s’ouvre pour la première fois aux Européens, et le christianisme va, sous la prédication puissante de saint François-Xavier, y chercher des conquêtes qu’il ne saura pas conserver[3]. Le monde entier est en pleine marche vers de nouvelles destinées.

  1. Akbar montait sur le trône en 1556, Elizabeth en 1558. Elizabeth mourait en 1603, Akbar en 1605.
  2. Copernic exposait le vrai système du monde en 1543. Napier naissait en 1550, Bacon en 1551, Kepler en 1571, Descartes en 1596. Akbar eut aussi pour contemporains Montaigne, Giordano Bruno, Campanella, ces hardis penseurs.
  3. Les Portugais pénétraient au Japon en 1543. Saint François-Xavier y prêchait l’Évangile six ans après.