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lui confia un rôle dans son opéra de Marguerite d’Anjou, M. Levasseur revint à Paris et chanta au Théâtre-Italien, à côté de Pellegrini, de Zucchelli, artistes de grand mérite, dont l’exemple fut très utile à M. Levasseur. La réputation qu’il s’acquit alors attira l’attention de Rossini, qui le fit engager de nouveau à l’Opéra, où il débuta dans le Comte Ory en 1828. En 1829, il chanta avec un très grand succès dans Guillaume Tell, dans le Philtre. Il créa en 1831 le personnage de Bertram dans Robert le diable ; en 1837, celui de Marcel dans les Huguenots, qui resteront ses vrais titres à l’intérêt de la postérité. Doué d’une belle stature, d’une voix de basse mordante et bien caractérisée, M. Levasseur est avec Mme Damoreau, avec Adolphe Nourrit Ponchard, Martin et Duprez, l’un des meilleurs chanteurs dramatiques de la nouvelle école française.

Nous venons de résumer les principaux faits qui ont pu appeler sur les dernières représentations de l’Opéra l’attention du public musical. Au théâtre de l’Opéra-Comique, les morts vont vite, et les partitions s’y entassent les unes sur les autres avec une rapidité effrayante. Après Marco Spada, qui n’a pas quille l’affiche, après la Tonelli, opéra en deux actes de M. Ambroise Thomas, qui n’a fait que paraître et disparaître, le Nabab, dont il a été déjà parlé dans cette Revue, est la dernière nouveauté importante qui se soit produite à ce théâtre vraiment heureux, où la reprise de l’Épreuve villageoise de Grétry fait regretter qu’on ne puisse pas récidiver souvent de pareilles tentatives. Puisqu’il faut absolument que M. Halévy fasse bon an mal an ses trois ou cinq actes de musique dramatique, tantôt dans le grand, comme on dit, et tantôt dans le tempéré, sans compter les petites distractions littéraires qu’il se donne pour l’amusement de ses confrères de l’Institut, il devrait au moins choisir avec plus de discernemens les sujets qui doivent l’inspirer. Un mauvais vaudeville qui a traîné longtemps sur les petits théâtres des boulevards, où l’invraisemblance est poussée jusqu’à la niaiserie, valait-il l’honneur d’être mis en musique par un homme d’esprit ? C’est bien la peine de faire de l’érudition de seconde main et de raconter des historiettes connues de tout le monde, pour se fourvoyer ensuite dans des poèmes ainsi lamentables que le Juif errant et le Nabab. Nous ne raconterons pas les vicissitudes impossibles de ce lord anglais qui étouffe de satiété et qui hésite pendant trois mortels actes entre le suicide et la réconciliation avec sa femme, une cantatrice italienne, des plus capricieuses, qui se trouve être en définitive la femme d’un autre. Encore, si le piquant des situations rachetait l’absurdité de la donnée, on s’en consolerait en disant avec Beaumarchais que ce qui ne peut pas être dit est bon à être chanté ; mais c’est une succession de scènes plaquées que le Nabab, il n’y a là que des situations forcées et amenées tant bien que mal pour la plus grande gloire du musicien. Ici se trouve un éternuement en duo, là un aboiement de chiens avec accompagnement de chœur ; plus loin, un solo de violon est exécuté par la voix sonore et douce de M. Bussine, imitation flagrante et puérile d’une scène du Toréador de M. Adam. Au troisième acte, un petit air gallois composé sur des intervalles autres que ceux qui forment notre gamme diatonique. Oh ! la belle chose qu’un compositeur érudit ! Nous lui dirions volontiers : Lascia le donne e studia la matematica.

Il nous reste peu de chose à dire de la musique du Nabab, si ce n’est qu’au