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papier griffonnée par l’auteur du Mariage de Figaro a été plus durable que son monument.

Dès le 14 juillet, Beaumarchais eut le sentiment des dangers nouveaux qui l’attendaient. Il avait vu avec bonheur la convocation des états-généraux ; il avait espéré qu’on arriverait ainsi sans trop de secousse à la régénération de la France par une constitution limitant le pouvoir royal, et par la destruction des abus que lui-même avait pour sa part si vivement attaqués. Gudin nous apprend dans son manuscrit que sur ce point Beaumarchais se faisait plus d’illusions que lui et combattait fréquemment ses défiances. « N’alarmez pas, lui disait-il, les esprits que l’espoir fondé d’une grande amélioration peut soutenir dans l’étonnante carrière qui s’ouvre devant nous. » Se sentant sous le poids de l’impopularité violente que lui avait faite sa récente querelle avec Bergasse, l’auteur du Mariage de Figaro ne brigua point les fonctions de député, et se tint d’abord à l’écart, observant les événemens. Bientôt la folle résistance de la cour et d’une partie des ordres privilégiés aux justes prétentions du tiers amena ce premier coup d’état populaire qui devait inaugurer en France le régime désastreux de la force. Beaumarchais vit de sa maison, non encore achevée, tomber la Bastille. Dans le trouble de cette journée et de celles qui la suivirent, il figure comme président du district des Blancs-Manteaux, occupé d’assurer l’ordre dans son quartier et de préserver de la fureur du peuple quelques soldats désarmés, éternel et uniforme incident des révolutions ! Le voici écrivant à un capitaine du régiment de Salis-Allemand, en lui renvoyant un de ses soldats, un billet dans lequel se peignent à la fois les agitations du moment et les vrais sentimens politiques de Beaumarchais, au moins à cette époque.


« Mercredi 15 juillet 1789.

« En rentrant chez moi, monsieur, j’ajoute au bien que j’ai été assez heureux pour accomplir d’empêcher que votre soldat ne parte en plein jour : il serait déchiré. Je lui fais donner une redingote et un chapeau de mes gens que vous me ferez repasser. Je lui fais ôter ses guêtres pour que rien ne le fasse reconnaître.

« Un grenadier des gardes françaises plein d’humanité me promet de le protéger jusqu’à la barrière.

« Dieu sauve le roi, le rende à son peuple, qui, à travers sa fureur, n’a pas perdu le saint respect de ce nom sacré ! Tout le reste est à la débandade.

« Je vous salue, monsieur,

« Caron de Beaumarchais,
Présidant le district des Blancs-Manteaux en ce moment. »


Dans les jours qui suivent, Beaumarchais est chargé, sur sa demande, par le maire de Paris, de surveiller la démolition de la Bas-