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atteinte au droit de propriété, ne s’immisçait pas dans les traités conclus par les paysans avec leurs seigneurs, elle possédait cependant elle-même certains droits généraux qui correspondaient à l’impérieux devoir de protéger également tous les sujets du royaume et de ne pas se laisser ravir les rênes mêmes du gouvernement. Aussi, la même année 1788, la commission précédemment instituée en vue des réformes nouvelles fit-elle adopter par le roi des mesures générales dont la principale l’ut l’abolition du stavnsbaand. Il s’agissait pourtant ici d’un abus qui avait été plus d’une fois sanctionné par la loi. Nous avons dit qu’il consistait dans la puissance accordée aux propriétaires de retenir forcément sur le même domaine les hommes que le service militaire exigeait d’eux. Il semblait qu’il n’y eût qu’à supprimer l’obligation imposée aux propriétaires de fournir un certain contingent, et que par la même la tyrannie des maîtres cesserait d’être légale : mais un grand nombre d’intéressés soutinrent que la loi autorisant le stavnsbaand ne dépendait en rien des règlemens du service militaire, que l’abolition téméraire, de cette loi ôterait des laboureurs aux champs et des soldats au pays, et que la commission n’avait pas été instituée par l’ordre du roi pour se mêler d’enrôlement et de milice. La commission répondit que la terre aimait qu’on la cultivât avec des mains libres, et que des soldats considérant le service militaire comme un devoir commun envers le pays, et non comme un fardeau particulier qu’il faut subir par le malheur d’une humble naissance, deviendraient pour la patrie des défenseurs plus zélés. Ces derniers argumens, qui étaient ceux de la justice et de la raison, l’emportèrent heureusement, et l’ordonnance du 20 juin 1788 supprima le stavnsbaand[1].

Il ne manqua pas alors de grands propriétaires qui jetèrent les hauts cris et prétendirent qu’on avait porté une injuste et odieuse atteinte à leurs droits imprescriptibles. Il n’en était rien en vérité ; le gouvernement n’avait fait que modifier l’organisation du service militaire et transporter dans les mains de ses agens la direction et la responsabilité du recrutement, abandonnées à tort jusque-là aux

  1. Le texte même de la loi mérite d’être cité : « Attendu que l’ordre des paysans contient le plus grand nombre des habitans du Danemark, et que du zèle de cet ordre, de son courage et de son patriotisme dépend en grande partir la force publique, soit dans la défense nationale, soit pour le bien-être de tous, sa majesté ne croit pas pouvoir faire de son autorité royale un usage qui lui soit plus agréable à elle-même et plus utile au pays qu’en l’employant à entretenir les vertus civiles de l’ordre des paysans, à leur conserver leurs droits naturels et surtout ce droit de liberté privée dont ils sont jaloux et dignes tout aussi bien que le reste de la nation. » Désormais les propriétaires n’étaient plus obligés de fournir un contingent de jeunes soldats, et le service militaire était imposé à tous les paysans comme un devoir envers le pays et le roi. La loi ordonnait ensuite que le stavnsbaand serait immédiatement supprimé pour les paysans âgés de plus de trente-six ans ou de moins de quatorze ; les autres devaient jouir de leur nouvelle liberté aussitôt qu’ils sortiraient du service militaire, et tous, sans aucune exception, pourraient, à partir du 1er janvier de l’année 1800, chercher du travail et s’établir partout où il leur plairait. Quant au nouveau mode de recrutement, il fut décidé qu’on diviserait le pays en un certain nombre de districts, que les paysans seraient inscrits sur les rôles conformément à cette division, et que, dès l’âge de quinze ans, ils s’engageraient sur l’honneur à ne pas changer de district sans une permission écrite. Le recrutement serait d’ailleurs confié, non plus aux propriétaires eux-mêmes, mais à des officiers nommés par le roi ; les jeunes gens de vingt ans accomplis partiraient les premiers, puis ceux d’un âge inférieur ; le service devait durer huit ans, et nul ne serait retenu sous les drapeaux après sa trente-sixième année.