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parlant les diverses langues et les dialectes des peuples qui composaient son vaste empire. L’abbé Mezzofanti fut l’objet de l’attention et des égards de tous ; il leur répondit avec une rare présence d’esprit et une parfaite pureté de langage, dans l’idiome que chacun d’eux employait. L’empereur, pour lui témoigner son admiration, lui offrit à Vienne une noble existence. Mezzofanti refusa avec une respectueuse courtoisie. Le grand-duc de Toscane lui fit personnellement les plus vives instances pour l’attirer auprès de lui. C’est à grand’peine que ce prince, ami des lettres, put l’engager à accepter la décoration de l’ordre de Saint-Joseph, dont il devint grand-croix à sa promotion au cardinalat. Rien ne pouvait l’arracher à ses livres et à ses études favorites. En même temps, aucune occasion n’était négligée par lui pour accroître ses richesses linguistiques. Les Bolonais se rappellent que lorsque le neveu du célèbre médecin Uttini arriva dans leurs murs, du fond de la Suède, non-seulement il ignorait la langue italienne, mais encore nul ne paraissait moins propre que lui à la parler; il se trouvait privé de toute espèce de communication avec ses nouveaux compatriotes; la réputation du polyglotte lui avait fait espérer rencontrer en lui un maître habile; par malheur, Mezzofanti lui-même ne savait pas le suédois. Quelques livres que lui remit l’étranger et un exercice de quelques semaines suffirent pour lui en donner une pleine connaissance. En 1818, un Arménien de distinction vint à Bologne ; il entra en rapports avec Mezzofanti, et ces relations valurent à celui-ci une conquête linguistique à ajouter à toutes celles qu’il avait faites déjà. Guidé par les conseils du docte père Mingarelli, chanoine de Saint-Sauveur, il avait étudié le copte et ses trois dialectes, pour l’intelligence desquels il trouva dans la suite de précieux documens dans les manuscrits de la bibliothèque du Vatican. Les événemens politiques avaient amené à Bologne de jeunes Hellènes ; il apprit d’eux la pratique du grec moderne, qu’il déclarait ne pouvoir jamais devenir une langue classique et spéciale à cause de ses analogies multipliées avec le grec ancien, qui restera à l’égard du dialecte moderne ce qu’est la langue de Cicéron et de Virgile à l’égard du latin du moyen âge. Les révolutions des pays étrangers lui vinrent plus d’une fois en aide; des prêtres espagnols originaires de la Biscaye, réfugiés à Bologne, lui enseignèrent les élémens de la langue basque, dont la difficulté est proverbiale, et dans laquelle il se perfectionna plus tard à Rome avec l’aide d’autres ecclésiastiques de la même nation, et qu’une autre révolution condamnait à l’exil. Parmi les secours inattendus que lui fournirent ses propres compatriotes, on cite à Bologne le professeur Rosario, surnommé il chirurgo mauro, avec lequel il apprit le birman. On mentionne aussi une famille géorgienne qui vint s’y établir, et qui lui fut utile pour l’intelligence des dialectes du Caucase.

Mais c’est surtout dans son enseignement public à l’université que Mezzofanti déployait tous les trésors de son inépuisable érudition. Ses collègues s’inclinaient devant sa supériorité. Bologne s’honorait alors de maîtres habiles : Valeriani, Tommassini, Orioli et Schiassi, dignes de recueillir l’héritage que leur avaient légué Galvani, Monti, Zanotti et la célèbre Clotilde Tambroni. Quelques mots en passant au sujet de cette dernière, qui a clôturé l’ère des femmes professeurs à Bologne. Elle était née dans cette ville en 1758. On rapporte que dans son jeune âge elle travaillait à des ouvrages de broderie dans