Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous séparions du colonel Canrobert, emportant la plus vive estime pour sa personne et le regret de la brièveté du voyage que nous avions eu à faire avec lui. Les roues fouettèrent l’eau, et nous voguâmes vers Oran.

Nous y fûmes reçus par le général Lamoricière, qui nous fit encore monter à cheval pour parcourir les environs, dont la plus grande curiosité était alors un village nègre, frère aîné des villages français qui n’y existent peut-être pas encore. Oran est bâti, comme Alger, sur une pente extrêmement abrupte. Rien d’aride et de nu comme l’immense plaine qui se déroule à partir du sommet. A droite, en tournant le dos à la mer, cette plaine est dominée par un pic élevé où l’on aperçoit un vieux fort espagnol qui faisait partie des défenses d’Oran; à gauche, à l’horizon, la montagne des Lions; en avant, rien. Il y avait cependant par-ci par-là quelques velléités de culture européenne. Nous allions à la recherche d’un champ labouré, comme s’il se fût agi d’une Amérique. M. Azéma de Montgravier, chef du bureau arabe d’Oran, mettait le plus aimable empressement à nous guider dans ce voyage de découvertes. M. de T... recherchait avidement l’entretien des officiers des bureaux arabes, hommes d’ailleurs fort distingués pour la plupart. Durant tout le voyage, il n’avait point quitté M. le commandant Durrieu, alors chef du bureau arabe de Médéa, ou M. de Salignac-Fénelon, chez qui nous avions logé à Miliana, où il remplissait les mêmes fonctions, et qui se joignit également à nous jusqu’à Orléansville.

Toute l’attention du général Lamoricière était alors tournée vers la frontière du Maroc, encore agitée par la présence d’Abd-el-Kader. On négociait en outre avec l’émir la remise des quelques prisonniers français qui n’avaient point été massacrés. Le diner fut animé par l’arrivée d’un jeune officier de marine, agent actif de cette négociation, et qui, par une mer affreuse, s’était jeté dans une caravelle pour venir annoncer au chef de la division d’Oran que le colonel Courby de Cognord et ses compagnons venaient d’être remis au gouverneur espagnol de Melilla, près duquel ils attendaient qu’un bateau à vapeur les vînt chercher. Ce jeune officier, qui venait de passer plusieurs nuits sans dormir, portait encore en lui l’animation fiévreuse avec laquelle il s’était dévoué à cette pieuse tâche. Sa mission officielle remplie près du général, il eut à satisfaire l’avide curiosité des convives, qui ne se lassaient point d’écouter ou de provoquer ses récits sur l’état des prisonniers, sur le camp d’Abd-el-Kader, sur les voyages répétés que les vicissitudes des négociations lui avaient fait faire, nuit et jour, pendant plusieurs jours de suite, de Melilla à ce camp. Les prisonniers durent au concours très empressé du gouverneur de Melilla, au courage et à la brûlante activité du jeune officier de marine, M. Durand, de ne pas voir s’éloigner encore le jour de leur délivrance.

Nous partîmes d’Oran par le bateau de service ordinaire, ce qui nous donna occasion de faire escale sur les points intermédiaires de la côte pour y prendre et y remettre les voyageurs ou les correspondances. A Mostaghanem, nous trouvâmes la garnison sous les armes pour l’arrivée du maréchal, qui y était attendu. Le commandant du bateau à vapeur ayant mis obligeamment une heure ou deux à notre disposition, nous profitâmes des chevaux de troupe qui nous fuient offerts pour parcourir la ville et ses alentours; mais bientôt