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sont les Tchétchens et les Lesghes qui ont salué en lui le successeur de Mahomet. Si l’on veut se rendre compte de ces obscures questions du Caucase, il faut d’abord connaître le terrain où se déploient ces luttes nationales, et éviter toute confusion entre les Tcherkesses et les Tchétchens. Chez les Tcherkesses, la guerre est finie depuis longues années; chez les Tchétchens, voilà plus de vingt ans que Khasi-Mollah et Shamyl déciment l’armée de la Russie. Les Tcherkesses ont peu de relations avec les hordes voisines : race chevaleresque et aristocratique, ils ont presque toujours combattu seuls, sans demander d’appui aux bandes féroces des Abschases et des Ubiches; — au contraire les Tchétchens, exaltés par le fanatisme et conduits par des chefs de génie, ont noué des liens entre les différentes races du Caucase oriental, et les hommes que Shamyl conduit au combat forment désormais une nation dont il est tout ensemble le sultan et le prophète. M. Maurice Wagner n’a vu que les Tcherkesses; plus savant et plus complet, M. Bodenstedt nous introduit aussi chez les Tchétchens. Partons de la Mer-Noire en compagnie de M. Maurice Wagner, et complétons avec M. Bodenstedt ses dramatiques récits.

Le voyage de M. Wagner l’a conduit des bords de la Mer-Noire jus- que dans cette gracieuse ville de Tiflis, le plus riant séjour du monde pour se reposer des fatigues du Caucase. Il a suivi le cours du Kouban et du Térek, il a traversé le passage du Dariel, et il a pu comparer les fertiles plaines de l’Imérétie et de la Géorgie aux rudes pays qu’il venait de parcourir. C’est de Kertch, en Crimée, que M. Wagner se dirigea vers le Caucase. Des bateaux à vapeur sillonnent la Mer-Noire et portent le voyageur sur les côtes orientales, au milieu même du pays des Tcherkesses. Toutes ces côtes sont à moitié soumises. Les Russes y possèdent dix-sept forteresses occupées par les Cosaques de la Mer-Noire, et destinées surtout à empêcher les communications entre les Caucasiens et la Turquie. Gardez-vous cependant de vous mettre en route la nuit; attendez que la matinée soit déjà assez avancée; attendez que les Cosaques, d’une forteresse à l’autre, aient balayé la route. Bien que la lutte régulière ait depuis longtemps cessé, le postillon cosaque qui conduit les voyageurs à travers les steppes du Kouban ne part jamais avant neuf heures du matin, et il faut qu’avant le coucher du soleil il ait atteint la station où il passera la nuit.

Le voyage est étrange au milieu de ces steppes lugubres; étrange surtout est ce peuple du Kouban. Les Cosaques du Kouban ou de la Mer-Noire (on les appelle aussi les Tchernomorzes) sont, avec les Cosaques de la ligne, la plus belliqueuse et la plus libre de toutes ces races barbares que la Russie a enrôlées sous ses drapeaux. Occupés longtemps à de terribles luttes contre les Tcherkesses, obligés