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découvrir l’origine. Évidemment l’auteur a eu à la fois les confidences des deux gouvernemens européens qui se trouvaient aux prises dans la question des lieux saints, la France et la Russie, et nous ne serions point étonnés qu’on eût nommé à ce propos l’ancien ministre ottoman Fuad-Effendi. On se rappelle avec quelle hauteur le prince Menchikof avait cru pouvoir traiter ce ministre en arrivant à Constantinople. Celui-ci se venge aujourd’hui de ce dédain en faisant connaître avec autant de mesure que de raison la politique devant laquelle il a succombé. C’est la conduite de la Porte que l’auteur s’est proposé de défendre, c’est aux reproches d’offense exprimés dans les circulaires de M. de Nesselrode qu’il a pour principal objet de répondre. Dans une analyse aussi substantielle que rapide des diverses phases de la négociation concernant les lieux-saints, il montre en effet catégoriquement que si la Porte a donné à quelqu’un le droit de se plaindre de ses procédés, ce ne saurait être à la Russie. Quand la France revendiquait en faveur des religieux francs de la Palestine les sanctuaires dont ils avaient la possession en 1740, cette puissance avait pour elle non-seulement le droit écrit, mais en quelque sorte le droit naturel lui-même. Elle agissait en effet en faveur de ses propres sujets ou d’étrangers volontairement enrôlés sous son protectorat, et en vertu d’un traité formel, celui qui est connu sous le nom de capitulation de 1740. La Russie au contraire, en essayant de s’entremettre dans le différend, n’avait aucun traité à alléguer, aucun de ses sujets à défendre. « Le gouvernement ottoman, fort de ces raisons, dit le publiciste dont nous signalons le témoignage, aurait pu tout d’abord refuser d’admettre une intervention quelconque de la Russie ; mais, par déférence pour une puissance alliée et voisine, il ne voulut pas le faire. Prenant en considération la sollicitude qu’elle affichait pour la religion dominante de ses états, et cherchant toujours le moyen de concilier l’intérêt de toutes les parties dans une question qui au commencement semblait être exclusivement religieuse, il ne ferma pas l’oreille à ces représentations. » Il est un autre point que l’auteur a parfaitement saisi et mis en relief. On se souvient qu’au moment où les négociations semblaient toucher à leur terme, l’empereur Nicolas avait cru devoir adresser au sultan une lettre autographe où il faisait un crime aux ministres ottomans d’avoir reconnu en principe la validité du traité au nom duquel réclamait la France. « C’était la première fois, dit l’écrivain ottoman, qu’on voyait un souverain adresser à un autre souverain des reproches pour n’avoir pas méconnu ses engagemens solennels envers une autre puissance. » Bien que l’écrit dont nous parlons n’ait pour but que d’expliquer la politique de la Porte et de repousser les reproches qui lui ont été adressées par la Russie, il renferme implicitement la justification la plus concluante qui put être faite de la conduite de la France.

La Russie ne trouvait donc dans la question des lieux-saints aucun prétexte légitime pour soulever la question plus vaste qui met aujourd’hui en danger la paix européenne. C’est sur elle seule que doit peser la responsabilité morale de la guerre qui semble sur le point de commencer. L’auteur de l’écrit que nous citons n’a point de peine à établir de quel côté sont les premiers torts. Depuis que cette brochure est publiée, un fait significatif est venu d’ailleurs attester les véritables intentions de la Russie. Cette puissance avait déclaré qu’en réclamant le protectorat religieux des sujets grecs de la