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abstractions, aux apparences, aux mécanismes, aux formes politiques elles-mêmes. Sans doute, il croit à la supériorité de la monarchie, et nul n’a démontré cette supériorité avec une plus vive éloquence; mais le complément de sa pensée, c’est que toutes les formes politiques, même les plus larges, sont possibles dans une société où il y a de la vertu, de la religion, de la morale. Sans cela, il ne reste plus que le despotisme, l’empire de la force, pour régir des hommes sans conscience et sans Dieu. Telle est donc l’alternative en face de laquelle Balmès jette à son tour les nations contemporaines : — le frein intérieur de la religion ou la force ! Et il dit aux hommes modernes : « Méditez et choisissez ! N’oubliez pas cela, vous qui faites la guerre à la religion au nom de la liberté... Ne dites pas que nous condamnons le siècle et que le siècle marche en dépit de nous : nous ne rejetons nullement ce qu’il a de bon... Le siècle marche, il est vrai, mais ni vous, ni nous, ne savons où il va. Les catholiques savent seulement une chose pour laquelle il n’est pas besoin d’être prophète : c’est qu’avec des hommes mauvais on ne peut former une bonne société, c’est que les hommes immoraux sont mauvais, c’est que là où manque la religion, la morale se trouve sans base... »

Nous ne faisons que résumer ici quelques chapitres du Protestantisme, où ces vérités sont mises dans un jour saisissant. Il est évident aux yeux de Balmès qu’il y a dans les nations européennes quelque chose de faussé; il y a des lois morales qui ne s’accomplissent pas, il y a des justices qui ne sont point faites, il y a des ressorts brisés et qui n’ont point été remplacés; il y a des forces qui, en l’état où elles sont, n’ont pu être comprises dans le dessein primitif de la civilisation. Les sociétés ne savent comment faire face aux nécessités qui les pressent. « La propriété se divise et se subdivise de plus en plus, dit l’auteur, l’industrie multiplie ses produits d’une manière effrayante, le commerce s’étend sur une échelle indéfinie : c’est-à-dire que la société, touchant au terme d’une prétendue perfection sociale, est sur le point de combler les vœux de cette école matérialiste aux yeux de laquelle les hommes ne sont que des machines, et qui ne s’est point imaginé que la société pût se poser un but plus utile et plus grand... La misère s’est accrue dans la proportion même de l’augmentation des produits. Aux yeux de tous les hommes doués de prévoyance, il est clair comme la lumière du jour que les choses suivent une direction erronée, et que, si l’on ne peut y porter remède à temps, le dénoûment sera fatal... L’accumulation des richesses, fruit de la rapidité du mouvement industriel et mercantile, tend à l’établissement d’un système qui exploiterait au profit d’un petit nombre les sueurs et la vie de tous; mais cette tendance même trouve son contrepoids dans les idées de nivellement