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instructions distribuées par ordre du gouvernement admettaient comme point de départ la multiplicité des types, et leur classement en deux grandes catégories : cotonnier herbacé et annuel, cotonnier arbre et vivace[1]. Les espèces cultivées dans le sud de l’Union américaine, c’est-à-dire les herbacées à soie plus ou moins longue, qu’on sème et qu’on arrache chaque année, sont celles, assurait-t-on, qui conviennent le mieux à notre Algérie, où les cotonniers arbres ne supporteraient pas plus l’hiver que sur les côtes de la Géorgie ou sur les rives du Mississipi. On a donc commencé par recommander aux planteurs algériens la culture qui réussit dans l’Amérique du Nord : choix de terres profondes et substantielles, trois ou quatre labours croisés avec autant de hersages pour ameublir et préparer le sol, coups de rouleau, irrigations, etc., en un mot toutes les ressources de la culture la plus savante. Les labours seuls étaient estimés 135 francs. La nécessité de renouveler chaque année les semis, c’est-à-dire de creuser douze mille fosses par hectare, entraînait une dépense de 82 francs. Il en était de même pour toute la série des manipulations. Il est vrai qu’on promettait au colon, pour le dédommager de ses avances, des récoltes extraordinaires, et de nature à lui laisser encore de gros bénéfices.

Mais, depuis cette époque, un autre agent de la colonisation a élevé des doutes sur cette prétendue nécessité de renouveler le cotonnier. Cette plante, dit-on de ce côté, unique en son espèce, ne se diversifie qu’en raison des influences extérieures qu’elle subit. Naturellement vivace, elle existera à l’état d’arbre durable en Algérie, où les hivers sont moins rudes, à latitude égale, qu’en Amérique. Loin d’être exigeante, une culture trop soignée, une nutrition trop abondante la fatiguent : on a constaté qu’entre plusieurs plants, le moins soigné a le mieux réussi. En un mot, le cotonnier se fait de lui-même dans un sol sain, léger, un peu maigre. Suivant cette doctrine, les frais d’exploitation se trouvent extraordinairement simplifiés; les terrains médiocres sont utilisés, les frais de labour et de plantation ne reviennent qu’à plusieurs années d’intervalle. On ne se souvient de l’arbre, pour ainsi dire, que lorsqu’il est disposé à livrer son fruit.

On le voit, ces deux affirmations sont radicalement opposées. Si nous avions à nous prononcer, nous dirions que sur un sol aussi vaste et aussi accidenté que notre domaine algérien, plusieurs procédés de culture sont admissibles, et que chacune des deux théories n’a péché que par exagération. Il y a des terres fortes et grasses auxquelles convient une culture rationnelle, et où le renouvellement

  1. pour comprendre cette distinction, il faut savoir qu’il y a des cotonniers qui sont des plantes basses et chétives destinées à mourir chaque hiver, et d’autres qui sont de véritables arbres hauts de plusieurs mètres et vivant plusieurs années.