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transitions étonne quelques esprits sans les charmer, mais blesse tous les hommes de goût; cette perpétuelle opposition des images les plus poétiques et des termes les plus vulgaires n’est pas plus acceptable que les tons criards dans un tableau. Vouloir associer la langue de la Jeune Captive et la langue de Macette sera toujours un dessein chimérique, un dessein condamné par le bon sens. J’aime à croire que M. Augier comprendra le danger de cette folle tentative, s’efforcera d’atteindre à l’unité de style, qu’il a trop négligée jusqu’ici, et abandonnera le champ de la fantaisie pure pour l’étude et la peinture de son temps. La comédie vit tout à la fois d’observation et de fantaisie; sacrifier l’une à l’autre, c’est méconnaître la moitié de sa mission. C’est pourquoi Philiberte n’est, à tout prendre, qu’une très ingénieuse espièglerie.

L’auteur de Claudie, enhardi par les applaudissemens, poursuit la tâche qu’il s’est proposée, la réhabilitation de la simplicité au théâtre. Le Pressoir, son dernier ouvrage, n’a pas été moins heureux que le Mariage de Victorine et François le Champi. Confié à des interprètes très habiles et parfaitement disciplinés, il a réuni de nombreux suffrages. J’espère pourtant que l’auteur ne se laissera pas abuser par le succès, et comprendra que cette veine est maintenant épuisée. Signé d’un nom inconnu, le Pressoir n’aurait certainement pas rencontré une si vive sympathie. Le talent incontestable qui recommande plusieurs scènes de cette comédie n’aurait pas suffi pour déguiser l’absence complète de mouvement. Les personnages sont vrais, je le veux bien, mais ils n’agissent pas, et le théâtre ne peut se passer d’action. Pierre Bienvenu, Valentin, Noël Plantier, sont des figures dessinées avec finesse; mais, pour les rendre intéressantes, il fallait imaginer une fable rapide et vivante, et c’est ce que l’auteur a cru pouvoir négliger. Se fiant à ses forces, se fiant surtout à la popularité qui environne son nom et qui accueille ses moindres ébauches, il s’est contenté d’écrire un dialogue tantôt naïf, tantôt spirituel, et n’a pas pris la peine de construire une œuvre dont les diverses parties ne pussent être déplacées. Le public s’est montré plus qu’indulgent. Cependant je ne conseille pas à l’auteur de renouveler l’épreuve, car il pourrait se trouver fort désappointé. Une rapide analyse démontrera, je l’espère, la justesse de mon sentiment.

Maître Bienvenu et maître Valentin sont rivaux de gloire et de talent dans un petit village du Berry. Maître Bienvenu, menuisier, est chargé par la commune de la construction d’un pressoir. Maître Valentin charpentier, voit avec jalousie, avec colère, lui échapper une tâche qui lui revenait de droit. Cependant le jour de l’inauguration approche. et maître Bienvenu n’achèverait pas son pressoir, si maître