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il est, dans les draperies surtout, d’une finesse et d’une précision inimitables. Je me trompe : on réussira peut-être à s’assimiler ce goût de dessin, et depuis quelques années plus d’une tentative, en ce genre s’est accomplie non sans succès ; mais en imitant ainsi fra Angelico, qu’aura-t-on fait de plus que de copier les surfaces de sa manière ? Se sera-t-on pour cela approprié le fonds même, le sentiment dont cette manière, n’est que l’expression naïve ? et parce qu’on aura ajusté des figures conformément aux exemples du maître, devra-t-on se tenir pour inspiré comme lui ? N’accusons pas toutefois trop sévèrement ce zèle d’imitation ; dans quelques cas, il est autorisé pour le moins par la perfection absolue de certains types et par l’impuissance où l’on est de trouver ailleurs des modèles. Ainsi le moyen de représenter des anges sans adopter comme une tradition authentique en quelque sorte la tradition de fra Angelico ? Fra Angelico est le peintre des anges comme Raphaël est le peintre des vierges. Tout artiste qui prétendra dénaturer les formes déterminées par les deux maîtres court risque d’ôter à son œuvre sa signification essentielle, et de nous montrer seulement de beaux jeunes gens ailés ou une chaste jeune fille là où nous aurions voulu reconnaître les esprits bienheureux et la Madone.

Le Jugement dernier et les autres tableaux que le pieux artiste peignit probablement pendant son séjour à Fiesole ne sauraient, quelle que soit leur perfection, donner une idée complète de ce talent et en accuser toute la portée. Fra Angelico, nous l’avons dit, n’eut qu’une méthode et demeura jusqu’à la fin de sa vie fidèle aux convictions de sa jeunesse ; mais dans l’exécution de peintures murales, cette méthode devait se modifier quelque peu en raison même des lois du travail, et les fresques du maître, tout en rappelant ses œuvres précédentes pour le fond des intentions et le style, sont touchées d’une main plus énergique et avec une sûreté de pratique plus évidente. Cette seconde phase du talent de fra Angelico date du moment où celui-ci vint avec ses frères s’installer à Florence.

Vers la fin de 1436, les dominicains de Fiesole avaient une seconde fois quitté leur couvent, mais non plus comme au commencement du siècle pour l’exil et la persécution ; ils allaient prendre possession de la vaste demeure que leur offrait la libéralité intéressée de Côme de Médicis, jaloux d’enchaîner par la reconnaissance des hommes dont l’ascendant eût pu être funeste au succès de sa politique. Côme avait dans ce dessein sollicité et obtenu du pape Eugène IV la permission de donner aux religieux de Fiesole les terrains de San-Marco, où se trouvait déjà un monastère que l’un des plus célèbres architectes de l’époque, Michelozzo Michelozzi, eut ordre de réédifier. Certes, en construisant, à grands frais cette retraite qu’il croyait ne peupler que d’amis, le père de la patrie ne se doutait pas qu’il préparait un asile, au plus redoutable ennemi de sa famille, au terrible frate à la voix duquel le peuple devait un jour chasser les Médicis. Cependant il n’y avait pas encore de Savonarole parmi les dominicains ; personne ne devinait les projets de Côme, cachés sous sa munificence, et l’on ne voyait en lui qu’un protecteur zélé, un bienfaiteur de ses concitoyens. Conduits par saint Antonin, alors prieur, les religieux de Fiesole vinrent donc s’établir au couvent de San-Marco, et l’édifice n’était pas complètement terminé, que fra Angelico entreprenait la série des fresques qui le décorent : travail immense et qui cependant fut mené à fin en quelques