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Mais d’un autre côté, quelle est l’attitude des puissances européennes ? Qu’ont fait en particulier les puissances maritimes, comme M. de Nesselrode a appelé la France et l’Angleterre ? Ici, au premier abord, peut-être trouverait-on autant d’incertitude qu’en ce qui touche les opérations de l’armée turque. Non point que cette incertitude existe probablement dans le fond, mais elle existe pour le public. Combien de fois n’a-t-on pas fait entrer les flottes de la France et de l’Angleterre dans les Dardanelles pour annoncer le lendemain qu’elles n’avaient pas quitté leur mouillage ? Elles sont décidément aujourd’hui cependant dans les eaux de Constantinople, — et même cette entrée des flottes combinées dons les Dardanelles a donné lieu entre les deux marines à une de ces scènes où se peint tout entière la rivalité, l’émulation des deux peuples. La réalité est, et il n’en faut pas triompher, que la plus heureuse a été la flotte française dans ce passage plus difficile qu’on ne le pensait. Tandis que les vaisseaux anglais luttaient sans succès contre le mauvais temps, les vaisseaux français les devançaient en dépit de la mer, et allaient les attendre à quelques milles de Constantinople pour se présenter ensemble devant la capitale de l’empire ottoman ; seulement, quand ils étaient rejoints plus tard par les vaisseaux anglais, ceux-ci passaient tout droit pour aller les premiers échanger un salut avec la terre et mouiller dans les eaux de la Corne-d’or. De celle lutte singulière où tout l’honneur des procédés n’est pas du moins du côté des vaisseaux anglais, que faut-il conclure ? C’est qu’avec deux marines de ce genre réunies, on peut beaucoup pour la paix du monde, et c’est la seule moralité qu’en doivent tirer les gouvernemens. Il n’y a donc plus d’Incertitude aujourd’hui sur la présence des flottes combinées devant Constantinople ; mais ici s’élève un autre sujet de doute : les deux flottes sont-elles entrées déjà dans la Mer-Noire ou vont-elles y entrer ? Bien que la nouvelle en ait été plusieurs fois donnée et démentie, et justement à cause de cela, rien ne semble certain encore. Les deux flottes entrassent-elles dans la Mer-Noire, il n’y faudrait point sans doute attacher le sens qu’y attachait récemment le Journal de Constantinople en montrant les vaisseaux de la France et de l’Angleterre venant joindre leur pavillon au pavillon ottoman et figurant dans une action commune. Ce serait simplement une déclaration directe de guerre à la Russie, — et le jour où cet acte décisif s’accomplira, c’est que tous les moyens auront été tentés, repris, épuisés, pour terminer d’une autre manière ce malheureux différend. Or, quelque gravité qu’aient prise dans ces derniers temps les affaires d’Orient au point de vue européen comme au point de vue turc, on n’en est pas là encore heureusement.

L’interruption forcée des opérations militaires pendant l’hiver, et un peu de sagesse aidant, pourquoi n’arriverait-on pas à quelques préliminaires qui serviraient de base à une négociation plus efficace ? A mesure que les événemens marchent et que le temps passe, il y a évidemment pont les puissances continentales un dernier effort à tenter, non-seulement pour leur intérêt, mais pour leur honneur, qui est bien aussi engagé à ne point laisser éclatée une extrémité dont personne ne veut. Ces jours derniers encore, à l’ouverture des chambres prussiennes, M. de Manteuffel disait que le gouvernement du roi Frédéric-Guillaume continuerait « à diriger en tous sens ses efforts actifs et à faire entendre un langage aussi indépendant qu’impartial pour faire