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corps stable et immobile à un châssis, à un panneau portatif, exerce sur l’artiste une saine influence, l’aguerrit contre ses faiblesses, le détourne des penchans mercantiles et capricieux. Pour peu que nos édiles persévèrent dans cet heureux système, dans cet emploi de la peinture à l’ornement des édifices publics, il ne faut désespérer de rien. L’art peut encore subsister, malgré ces foires annuelles qui abaissent et faussent le goût. Il lui reste un refuge ; l’étude, la pensée conservent un asile, et quelques œuvres suffiront, quelques œuvres ainsi créées à l’abri de la contagion, pour racheter dans l’avenir nos péchés, nos misères, et faire dire à nos neveux que nous avions encore dans les veines quelques gouttes du sang de Lesueur et de Poussin.

Ce qu’il faut regretter, c’est que ce genre de peinture n’ait pas recouvré plus tôt la faveur qui lui vient aujourd’hui. C’était il y a vingt ans, lorsque les hommes qui avaient marché avec tant d’éclat à la tête des arts sous la restauration étaient encore pleins de jeunesse, c’était alors qu’il fallait ouvrir ce champ nouveau à la peinture poétique et sérieuse. Comment penser sans chagrin que M. Ingres, par exemple, n’aura eu dans sa longue carrière qu’une seule occasion d’incruster une de ses pages dans un de nos monumens, et seulement sur un plafond, car on n’accordait alors à la peinture que des plafonds tout au plus ? Comment ne pas regretter que M. Delaroche, lui aussi, n’ait eu qu’une fois la fortune de s’emparer d’une vaste muraille, et que celle fortune, M. Ary Scheffer ne l’ait même jamais eue ? Qui pourtant plus que lui aurait gagné à pénétrer dans ces régions nouvelles, lui si riche de pensées, et dont la main parait d’autant plus sûre qu’elle s’appesantit moins aux détails de l’exécution ? Nous ne citons que ces trois noms pour abréger, parce qu’ils résument leur époque ; mais bien d’autres, dans ce temps de vaillans efforts et de haute espérance, bien d’autres, leurs émules, ont eu le même sort, et, à leur grand détriment dans l’avenir, se sont résignés comme eux à ne faire que des tableaux. Que serait la peinture italienne, si l’Italie, dans son grand siècle, n’avait produit que des tableaux ? Otez à Raphaël les Stanze du Vatican, il reste encore le roi des peintres, mais il descend de cent coudées.

Cette occasion, qui a manqué aux chefs de notre moderne école, occasion qu’ils peuvent encore faire renaître, puisque, Dieu merci, aucun d’eux ne nous a dit son dernier mot, elle s’est offerte à des hommes partis des seconds rangs et bientôt montés au premier. Ces hommes l’ont saisie avec une ardeur persévérante et un dévouement presque héroïque. L’un d’eux est mort à la peine, laissant une œuvre inachevée, mais déjà l’œuvre d’un maître. Dans celle seule chapelle de la Vierge, à Notre-Dame-de-Lorette, Orsel s’est fait un nom qui ne périra pas. Il avait deux grands dons que le ciel réserve aux véritables