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croit dans un autre siècle, au milieu d’une autre génération d’artistes.

Gardons-nous donc de tirer un trop sombre horoscope de la peinture d’aujourd’hui. Qui sait ce qu’en dira l’avenir ? Ceux qui la déshonorent ne sont pas ceux qui vivront. Tous ces chefs-d’œuvre de pacotille seront oubliés dans quelque vingt ans d’ici ; ils auront cédé la place à d’autres produits fabriqués sur de nouveaux patrons, et seront allés finir leurs jours dans le pays des tableaux hors de mode, aux États-Unis d’Amérique ou dans le fond de nos greniers. Ce qui vivra, ce qui portera témoignage de notre savoir-faire, ce que donnera la mesure de nos artistes, ce sera cette série de peintures qui depuis douze à quinze ans se fixent sur nos murailles, tableaux qui ne voyagent pas, et qui pour la plupart sont aussi sérieusement conçus et exécutés que solidement établis. Bien des intrus se sont pourtant glissés, même en si bonne compagnie. Nous pourrions nous égayer aux dépens de certains barbouilleurs qui, dans ces derniers temps, ont bravement couvert de grotesques enluminures des chapelles tout entières à côté d’autres chapelles empreintes d’un chaste savoir et d’un sentiment exquis. Sur les parois de Notre-Dame-de-Lorette aussi bien qu’à Saint-Méry, les yeux sont offensés de ces choquantes disparates ; mais cette ivraie, ces herbes folles disparaissent au milieu du bon grain. Ce qui domine en général dans ces peintures adhérentes aux murailles, si heureusement substituées aux tableaux suspendus, c’est un accent sincère, un goût élevé, une grande intelligence de composition. Il semble qu’à travailler ainsi sur un fond consistant et durable, sans changement possible ni de destination, ni de jour, ni d’aspect, la pensée se fortifie. Tous ceux de nos peintres qui avaient quelques talens ont grandi à cet exercice. Ils se sont vus forcés de prendre de grands partis, sans laisser-aller, sans caprice, après longue et mûre réflexion. Autre chose est avoir devant soi un public mobile et blasé, dont il faut étudier les goûts, flatter les appétits, autre chose avoir affaire à ce public permanent et sérieux, sans fantaisies, sans passions, qu’on appelle la postérité. Le plus insouciant des hommes pense bon gré mal gré à la postérité quand il est face à face avec ce mur que son pinceau va parcourir. Il ne consulte ni cote, ni tarif pour savoir si le réalisme est en hausse et l’idéal en baisse, s’il doit se faire flamand, hollandais, espagnol, archaïque, pastoral ou vaporeux : il ne cherche que le durable, par conséquent le vrai, ce qui tout naturellement le ramène au vieux sentier de notre école, à ces pures traditions de l’esprit français qui demandent à l’art non la puérile imitation de l’apparence des corps, mais l’expression de la pensée au moyen d’une juste et intelligente reproduction de la forme et de la couleur.

Ainsi la seule différence du subjectile, la seule substitution d’un