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Ce fait du règne des mille ans du Christ qui doit précéder la fin du monde est donné dans l’Apocalypse d’une manière trop explicite pour que celui qui croit réellement à son inspiration puisse conserver le moindre doute. Le protestant mystique réfléchit avec inquiétude sur ce chiffre mystérieux et sacramentel, et s’efforce de saisir la liaison qui rattache cette prophétie assez claire à tout le reste du livre. C’est ce qui explique la prodigieuse quantité de traités et de commentaires sur l’Apocalypse qui ont paru chez les réformés et notamment en Angleterre. La plupart de ces livres sont lus et goûtés, et quelques-uns, comme le prouvent des exemples contemporains, arrivent à leur troisième, à leur quatrième édition. Chez les méthodistes de la Suisse et de la Hollande, je veux dire ici les calvinistes zélés et anti-rationalistes auxquels on a étendu cette appellation, ces mêmes ouvrages n’ont pas moins de succès. Dans certaines familles pieuses, ils forment la lecture du soir. Il y a déjà longtemps qu’il en est ainsi, et l’on n’a point oublié que le grand Newton a quitté quelque temps la poursuite de ses admirables découvertes pour expliquer à sa façon l’Apocalypse.

Le millénarisme, qui avait compté de nombreux partisans chez les disciples de saint Jean et qui en a conservé à toutes les époques chez les catholiques, est devenu ainsi par excellence l’enfant d’adoption du protestantisme. Toutefois cette croyance ne fut longtemps pour les réformés qu’un dogme accessoire, qui ne portait aucune atteinte à la constitution de la religion et n’agissait pus directement sur le symbole et sur le culte. Il n’en fut plus de même le jour où certains protestans se persuadèrent que la fin du monde était proche, et que le millenium ou règne de mille ans allait s’accomplir. Comme l’Apocalypse nous annonce formellement un nouveau ciel et une nouvelle terre, comme tout dénote qu’à la fin des temps la foi que le Christ nous a donnée sera changée et qu’une constitution religieuse nouvelle lui succédera, ces protestans admirent qu’une partie des dogmes reconnus aujourd’hui serait modifiée, que de nouveaux rites viendraient remplacer les anciens, en un mot qu’il allait y avoir une phase religieuse analogue à celle qui s’opéra quand le christianisme détrôna le mosaïsme, ou lorsque le mosaïsme fut substitué à la religion patriarcale, de même que l’époque où Dieu avait un peuple d’élection a eu un terme, quoique Jéhovah eût annoncé à Israël une alliance éternelle, le christianisme finira à son tour, bien que la plupart des chrétiens, tombant dans la même erreur que les Juifs, s’imaginent que la seconde alliance doive toujours durer.

Ces idées conduisirent à constituer en quelque sorte le millenium, à le faire choisir pour point de départ d’une autre religion, donnée comme celle de l’église que Jésus-Christ doit gouverner en personne jusqu’à la fin du monde. L’introducteur de cette religion fut un Suédois, Emmanuel Svedenborg, né en 1688, Ce théosophe, doué de connaissances prodigieusement étendues, avait commencé par être un homme émient dans la science, et la noblesse lui avait été conférée comme récompense de ses travaux ; mais vers la fin de sa vie, il se livra exclusivement à des théories religieuses dont le millénarisme constituait le fond. Celle doctrine n’était plus seulement pour lui une opinion, c’était une religion à peu près distincte du christianisme. Il reconnaissait les trois phases ou époques religieuses dont il vient d’être question,