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degrés divers et dirigée dans des sens différens, qui a fait naître la grande majorité des sectes protestantes, depuis les méthodistes et les piétistes jusqu’aux récens spiritualistes. Elle est en effet le véritable fondement de la religion évangélique, puisque celle-ci repose tout entière sur la lecture et la méditation de l’Écriture sainte. On cherche à s’inspirer des sentimens divins qui y sont répandus, et cette inspiration est tenue pour si puissante et si formelle, qu’on en fait un guide spirituel bien supérieur à tous les autres. C’est au nom de l’Écriture sainte que la réforme a été faite. La Bible, distribuée à profusion, est placée entre les mains de tous, sans notes et sans commentaires, parce que l’on suppose à son texte une véritable puissance d’illumination. Ce n’est pas dominé par une pure curiosité scientifique et un simple intérêt historique que le protestant doit lire l’Écriture, comme avaient fini par le faire dans ces derniers temps les exégètes allemands : c’est pour se nourrir du sens moral et religieux qui s’y trouve renfermé, et que l’esprit de Dieu communique aux simples comme aux savans qui le cherchent. Ainsi recommandée, la lecture de la Bible provoque l’inspiration individuelle, et de cette façon, l’Esprit saint envoyé par Jésus-Christ aux apôtres continue à nous fortifier, à nous consoler dans notre foi et nos espérances.

Dans la Bible cependant, les mystiques font un choix ; ils passent rapidement sur les livres de l’Ancien Testament ou du Nouveau qui ont un caractère purement narratif, et s’attachent de préférence aux écrits prophétiques. Les livres dont le sens est le plus obscur et les figures les plus bizarres leur fournissent un texte inépuisable d’enseignemens et d’interprétations. Isaïe, Ézéchiel, Daniel, sont expliqués dans les sens les plus divers, les plus contradictoires, et cependant l’interprète protestant fait chaque fois ressortir la clarté et l’évidence de son explication. L’Apocalypse, qui reproduit avec des couleurs plus fortes les images et le style des prophètes, est avant tout l’objet de la prédilection des mystiques. Là les ténèbres de la pensée permettent de proposer à loisir toutes les interprétations. Les prophètes hébreux sont assurément fort peu compréhensibles ; mais dans l’ensemble de leurs œuvres, dans leurs passages principaux, on s’accorde à reconnaître l’annonce des grands événemens qui ont précédé ou accompagné la venue du Messie et la dispersion du peuple juif. L’Apocalypse au contraire, qui appartient à la religion nouvelle, l’Apocalypse, que l’apôtre bien-aimé du Sauveur a écrite peu de temps avant de remonter à lui, n’a point encore reçu, à ce qu’il semble, sa réalisation. Que nous indiquent le drame mystérieux qui s’y trouve décrit, et les bizarres, mais sublimes scènes dont saint Jean a été témoin en esprit ? C’est là une question que s’adressent presque tous les protestans.

La doctrine la plus claire qui ressorte de l’Apocalypse est celle du millenium. L’apôtre distingue deux résurrections. Après que l’ange du Seigneur aura saisi le grand dragon et l’aura jeté pour mille ans dans l’abîme, le Christ règnera durant ce laps de temps avec ses saints : c’est la première résurrection. Quand ces mille ans seront accomplis, Satan sera délivré de sa prison, et il sévira avec fureur sur les nations jusqu’au moment où aura lieu la fin du monde. Dieu fera descendre le feu du ciel, l’univers sera consumé, la seconde résurrection aura lieu ; puis un ciel nouveau et une terre nouvelle apparaîtront. Ce sera la nouvelle Jérusalem où Dieu habitera avec ses élus.