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Bolingbroke, au moins pendant longtemps, obtint, pour lui-même la bienveillance des jacobites par des services plutôt que par des promesses. Plus jacobite que Harley dans sa conduite publique ; il le fut moins peut-être dans ses relations secrètes, ou il sut les tenir mieux cachées. Il avait plus de respect pour ses paroles ; il ne savait pas mentir à tout venant, à tout risque, ni se jeter et se démener dans ces dédales de contradictions et d’artifices où certains esprits vivent à l’aise. Il aimait mieux se populariser parmi les membres du Club d’octobre en les délivrant ou en les vengeant de leurs ennemis, en demandant la destitution des whigs les plus modelés, en persécutant les non-conformistes, en s’exposant à tout pour hâter la paix avec le roi protecteur des Stuarts. Cette politique, nous en convenons volontiers, était plus digne, elle était même plus prudente, car souvent les actions engagent moins que les paroles, mais elle ne pouvait avoir qu’un temps : un jour devait venir où elle obligerait de tout abandonner ou de franchir le pas qui la séparait du crime d’état.

Il faut remarquer que les idées de fidélité, de loyauté politique ; n’étaient pas alors placées aussi haut ni aussi solidement établies qu’elles le sont aujourd’hui : je parle de l’Angleterre. Le principe de l’obligation envers l’état et sa constitution actuelle peut se rattacher sans doute à des principes de morale universelle ; mais il tient aussi à des conventions sociales qui sont de leur nature variables. Aux époques où les événemens les exposent à des variations fréquentes, où toutes ces choses, loi, constitution, dynastie, sont sujettes au changement, dans les temps révolutionnaires en un mot, le devoir politique, moins distinct, est moins stable et moins inflexible. Il faut plus de lumières pour discerner où est le droit, où est le bien public, où est le possible et le juste, et la conscience n’est engagée que dans la mesure de l’intelligence, une certaine indulgence est donc naturelle à de pareilles époques et même légitime dans l’appréciation morale des actions politiques, il faut oser le reconnaître, quoique nos yeux soient blessés des conséquences dégradantes où ce relâchement peut conduire. Ce n’est pas avec le rigorisme aveugle des temps où l’autorité est tenue pour sacrée, parce qu’elle semble immuable, qu’il faut juger l’Angleterre après 1640 ou même après 1688. De nobles intérêts, de justes causes, la religion, la liberté, la royauté, l’hérédité, la loi, les droits des peuples, ceux des rois, le bonheur public, la grandeur nationale, tout avait été à la fois mis en jeu, tout avait été divisé, et entre toutes ces choses graves ou sacrées, il avait fallu souvent faire un choix. Quand la mort avait enlevé à Guillaume III la fille des Stuarts qui partageait sa couronne, il était devenu roi pour son compte, et aux yeux des casuistes de l’hérédité monarchique, aucun mélange de droit de succession n’avait plus tempéré ce qu’ils appelaient usurpation. Lorsqu’il avait à son