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autres choses, dispose de notre vie comme il l’entend… Et maintenant, monsieur, je vais vous donner, contre la mienne, ces chances dont vous m’avez paru si altéré.

« — A la bonne heure ! en place ! dit Thorn, prenant son pistolet. Armez-vous… Allez au bout de la table… et ne faites pas attention au bruit.

« — Je resterai où je suis, dit M. Carleton, croisant paisiblement ses bras sur sa poitrine. Placez-vous où il vous plaira.

« — Mais vous n’êtes pas armé ! s’écria Thorn avec impatience. Pourquoi ne vous apprêtez-vous pas ?… qu’attendez-vous donc ?

« — Pardon, monsieur Thorn, reprit l’autre avec un sourire ; je n’ai que faire de vos armes… Je n’ai aucune envie de vous nuire, aucun mauvais vouloir contre vous… Vous êtes libre, en revanche, de disposer de moi comme vous l’entendrez.

« — Mais votre promesse ? dit Thorn avec désespoir.

« — Je la tiens, monsieur.

« Thorn laissa retomber ses mains armées ; ses regards étaient effrayans. Il y eut un silence de quelques minutes.

« — Eh bien ? dit M. Carleton, levant les yeux et souriant. « — Eh bien ! monsieur, je ne puis que ce que vous voulez, répondit Thorn d’une voix rauque, et jetait ça et là des regards rapides.

« — Je vous l’ai dit, monsieur, disposez de moi. Je n’ai aucune raison d’exercer les moindres représailles.

« Il y eut un moment de silence, pendant lequel la physionomie de Thorn faisait pitié à voir dans les ténèbres qui la couvraient encore ; il ne bougeait pas.

« — Je ne suis pas venu ici comme votre ennemi, monsieur Thorn, lui dit enfin Carleton se rapprochant de lui. Maintenant encore je ne le suis nullement. Si vous m’en croyez, vous renoncerez à ce qui vous reste de haine contre moi, et, pour me le prouver, vous prendrez la main que je vous offre. »


Il faut, convenons-en, que le préjugé national soit bien affaibli, et que l’amour-propre tant reproché aux Américains soit de bien bonne composition, pour que la supériorité si pleinement accordée au gentleman anglais sur le citizen de New-York n’ait fait aucun tort au succès du livre que nous venons d’analyser. Et qui sait ? Peut-être au contraire une des conditions de ce succès a-t-elle été, pour toute une classe de lecteurs, l’histoire de cette bonne petite ménagère yankee qui devient, en épousant Carleton, la belle-sœur de lady Peterborough et l’égale des plus altières châtelaines des trois royaumes. Le culte de la hiérarchie et l’amour des distinctions nobiliaires s’amalgament, on le sait, d’une façon très remarquable avec le sentiment de l’égalité politique chez cette race à part dont les inconséquences n’empêchent pas la grandeur, et qui pourrait d’ailleurs, si nous la critiquions pour si peu, nous en reprocher bien d’autres.

Serait-ce par hasard une de ces anomalies que l’enthousiasme