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soc de la charrue, entouré de subalternes qui tous reconnaissent une autorité de droit en même temps qu’une supériorité de fait, l’honnête fermier Plumfield reçoit sans la moindre morgue, mais sans le moindre abaissement, l’hommage forcé que vient lui rendre M. Rossitur, qui, hier encore, fier de ses gros revenus, aurait à peine cru possible de le reconnaître pour son parent. Aujourd’hui ces dédains ne sont plus de mise, et tout décidé qu’il est, — on le voit de reste, — à garer de tout échec sa dignité un peu compromise, le citadin est contraint de confesser l’embarras qu’il éprouve de demander secours, et de l’accepter, qui pis est, bien que ce secours lui soit quelque peu marchandé.

De même, lorsque, plus tard, deux pécores de soubrettes, emmenées de New-York par mistress Rossitur, quittent la maison de plus en plus appauvrie, de moins en moins tenable, il faut bien que l’orgueil de l’ancien riche se plie à de grands sacrifices. À Queechy, personne ne sert volontiers ; les plus pauvres font leurs conditions, et n’acceptent pas indistinctement, en échange de quelques dollars, le rôle qu’on veut bien leur assigner. Les voyages de Fleda à la recherche d’une cuisinière constituent une épopée bourgeoise du plus singulier caractère. Qu’on nous permette d’insister sur cet épisode dont plus d’une lectrice et même plus d’un lecteur comprendra l’intérêt.

Fleda s’est d’abord rappelé une sorte de gouvernante qu’avait feu son grand-père, et avec qui elle pense pouvoir établir de meilleurs rapports qu’avec toute autre. Elle se fait indiquer la demeure où s’est retirée cette duègne en disponibilité. Miss Cynthia Gall, voilà son nom. Elle va la trouver dans une pauvre maisonnette d’où semble à jamais exclu tout comfort : cheminée froide, toit délabré, carreaux de vitre à grand’peine réparés et recollés, ou remplacés par quelques lambeaux de papier. Pas une pauvre fleur, pas un arbuste d’agrément autour de cette masure ; au dedans, miss Cynthia, toujours revêche et pincée, toujours sur ses ergots, toujours occupée à faire valoir son importante personnalité ! Après un entretien amical, mille souvenirs évoqués, des précautions oratoires sans fin, Fleda croit enfin pouvoir aborder le sujet essentiel de la conférence :


« — Vous ne devineriez jamais ce qui m’amène, ma bonne Cynthy.

« — Qui sait ? dit Cynthy jetant vers le feu qu’elle avait allume à grand’ peine un de ses regards les plus ambigus… Je suppose que vous avez affaire de moi.

« — Je suis venue savoir si vous ne voudriez pas venir demeurer chez ma tante mistress Rossitur. Nous sommes seules, et il nous faillirait bien quelqu’un pour nous aider. J’ai tout d’abord pensé à vous naturellement.

« Cynthy gardait le plus complet silence. Elle était assise devant le feu, ses jambes étendues de toute leur longueur dans la direction du foyer, ses bras