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En y réservant une large place aux plus modestes réalités de la vie, en sent en effet qu’elle a voulu peindre aussi la société américaine dans tout ce qu’elle a de plus aristocratique, et comme cette aristocratie ne lui suffisait pas encore, elle a donné le beau rôle à un nobleman anglais de la plus haute naissance, auquel, pour surcroît de distinction, elle départ 40,000 liv. sterl., c’est-à-dire un million de revenus.

Queechy est le nom d’un domaine où nous sommes transportés dès les premières scènes du roman. M. Carleton, nobleman anglais, dans une tournée qu’il fait aux États-Unis, est amené par un jeune officier américain, à la suite d’une partie de chasse, chez le grand-oncle de ce compagnon de plaisir. Ils y reçoivent une cordiale hospitalité, bien que le vieillard qui la leur offre soit depuis longtemps dans une position de fortune très embarrassée. Le petit domaine de Queechy, pour l’exploitation duquel il s’est associé un homme d’affaires fort peu scrupuleux, est déjà hypothéqué pour tout ce qu’il peut valoir, et le moment approche où le malheureux propriétaire, M. Ringgan, menacé d’éviction, ne saura où abriter sa tête blanchie. Avec lui est sa petite-fille Elfleda Ringgan, pauvre orpheline dont il est le seul protecteur, et dont l’avenir incertain trouble, par ses menaçantes perspectives, les derniers jours de cet excellent homme. Lorsque cette situation, si émouvante déjà, vient se compliquer encore, lorsqu’un brutal créancier vient sommer le vieillard et l’enfant de quitter leur humble demeure, une main inconnue leur vient tout à coup en aide. C’est celle de l’opulent et généreux Carleton ; mais sa tardive intervention n’a pas tous les effets qu’il en pouvait espérer. Dans ses dernières luttes contre l’infortune, le cœur du bon vieillard s’est brisé. À peine libéré de ses plus pressans embarras, il meurt presque subitement, laissant Elfleda aux mains d’une vieille sœur infirme, qui se sent hors d’état d’accepter utilement une si délicate tutelle. Ici Carleton intervient encore. Voyageant avec sa mère, il peut placer Elfleda sous la protection de cette dame, et il demeure convenu qu’ils conduiront tous deux l’orpheline chez un oncle à elle, le fils du défunt propriétaire de Queechy. M. Rossitur, cet oncle, riche négociant de New-York, est en ce moment à Paris, où il mène la vie prodigue et fastueuse de l’Américain en voyage. Durant la traversée, et surtout durant le séjour qu’ils font à Paris, Elfleda, — c’est encore une enfant, — a laissé prendre à son jeune protecteur une grande influence, « ne grande autorité sur son esprit. Il ne lui est pas en vain apparu, dans ses premiers jours de malheur, comme un envoyé du ciel ; il ne lui a pas en vain, depuis lors, prodigué les soins les plus dévoués et les plus délicats. Bref, à quatorze ans, miss Fleda, -c’est ainsi qu’on abrège son nom, — n’est pas plus stoïque que ne le serait à sa place