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l’affirme du moins, et nous l’en croyons, car elle nous fait comprendre et apprécier par ses récits essentiellement exacts, d’une fidélité stricte, minutieuse, incontestable, l’influence prestigieuse de la Bible sur l’imagination, sur la raison, sur la volonté des personnages féminins qu’elle met en scène.

Voyez par exemple quelle place tient la Bible dans le premier des deux romans de mistress Wetherell. Cette jeune fille, ou pour mieux dire cette enfant qu’on vient d’enlever à sa mère, à sa mère atteinte d’un mal mortel, suivons-la dans ce wide, wide world[1], ce « vaste monde » où elle semble devoir se perdre, chétif atôme, parmi ces étrangers qui se sont chargés à regret de la prendra avec eux, et de la déposer à un endroit désigné, où elle doit trouver une sœur de son père entre les mains de laquelle on la laissera. Pénétrons-nous de cette terreur nerveuse qui saisit la petite Ellen Montgomery en face de ces froids visages, de ces physionomies indifférentes et dédaigneuses dont elle est tout à coup entourée, elle qui vient de quittée, baignée de larmes, les tendres étreintes de sa mère, et de subir les angoisses d’une inévitable séparation. À la pauvre brebis dépouillée de sa chaude toison, Dieu cette fois ne mesure pas le vent. Ce vent du dehors souffle rude et glacial sur son cœur qui frissonne. Les larmes qui s’en échappent, on y prend à peine garde, comme à un ennui de plus, un désagrément de la mission acceptée. Le capitaine Dunscombe remplit rigoureusement la consigne qu’il a bien voulu recevoir de son collègue, le capitaine Montgomery. Sa femme, hautaine et sèche créature, dissimule à peine le mécontentement que lui cause cette gênante corvée. Leur enfant, gourmande, moqueuse, insolente, encouragée par les dédains qu’on témoigne à la petite étrangère, ne se gêne guère pour railler sa mise hors de saison, son embarras, sa tristesse : elle rougit d’une compagne qui n’a pas de gants aux mains, et qui porte une capote blanche à la fin d’octobre. Qu’arriverait-il si les misses Mac-Arthur, embarquées sur le même paquebot, allaient croire à quelque lien de parenté entre elle et cette petite personne si peu fashionable ? — Voila ce qu’elle pense, ce qu’elle dit même tout bas, et ce qu’Ellen entend de reste, après l’avoir deviné à moitié.

Aux blessures de la sensibilité viennent s’ajouter les souffrances de l’amour-propre ; les consolations qui font défaut sont remplacées par l’insulte et le mépris. Aussi la nature se voile devant les yeux d’Ellen, refoulée en elle-même, et dont le cœur se serre :

  1. Wide, wide world, locution consacrée, idiotisme intraduisible. Il exprime cette idée d’immensité que le monde présente à l’individu faillie et sans secours qui doit y frayer sa route.