Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/804

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est pas là le caractère des manufacturiers de la Grande-Bretagne, de ces fabricans de châles, de ces fabricans de bas de soie, qui nous ont dépossédés d’une partie de nos débouchés extérieurs. Ici, le chef ne se retire presque jamais, ou bien, quand il se retire, il reste l’associé de ses successeurs ; le plus souvent il se survit à lui-même dans ses enfans, en sorte que les efforts commencés ne sont point interrompus. L’habitude contraire occasionne, dans nos fabriques du Gard, une pénurie de capitaux qui suffirait pour paralyser les grandes entreprises et frapper d’incertitude la situation des ouvriers. Le manufacturier qui prend sa retraite réalise ses bénéfices et enlève ses fonds des affaires ; à défaut de commanditaires qui s’associent à sa fortune, celui qui le remplace sur la brèche ne réussit à se procurer des ressources que par des emprunts, par le mode ruineux des engagemens personnels. Quand on sait en outre que la fabrique nîmoise est divisée en une multitude de mains, on comprend combien il lui devient difficile de produire en grand et de lutter avec la concurrence intérieure ou extérieure. C’est par suite de cet éparpillement des forces productives qu’elle a négligé de se tenir au courant des goûts publics chez les étrangers et qu’elle s’est laissée devancer par ses rivales du dehors en fait de perfectionnemens mécaniques.

Enfin, s’il est vrai de dire, en prenant la France dans son ensemble, que nous savons mieux fabriquer que vendre, que nous possédons le génie industriel à un plus haut degré que le génie commercial, ce reproche ne s’applique nulle part plus justement qu’à Nîmes. Pourquoi les manufacturiers de cette ville n’envoient-ils pas leurs enfans apprendre le négoce dans les pays du nord, en Angleterre surtout ? Ils seraient étonnés eux-mêmes, au bout de quelques années, des changemens qui en résulteraient dans l’état de leur fabrique. Ils se plaignent volontiers, et parfois avec raison, que l’industrie n’éveille pas les sympathies de la cité, qu’on n’y fait rien ou à peu près rien pour aider à son développement, qu’on semble même regarder ses succès avec des yeux jaloux : ce ne sont pas là des motifs pour s’abandonner au découragement. On devrait au contraire chercher plus activement à créer des germes pour l’avenir. En un mot, dans la France du nord et de l’est, les institutions qui naissent du développement de la classe ouvrière ont surtout pour but de garantir la vie matérielle et d’améliorer la vie morale. Dans le midi, c’est l’instinct du commerce qu’elles devraient provoquer à côté de l’instinct du travail et de l’étude ; ce n’est pas seulement vers le perfectionnement, c’est aussi vers l’écoulement des produits qu’elles devraient diriger la sollicitude des populations. La vie industrielle n’attend pour s’affermir qu’une meilleure impulsion donnée à l’activité commerciale.


A. AUDIGANNE.