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vie sont à peu près inconnues, les travailleurs de la soie jouissent d’une liberté qui se reflète dans leur attitude extérieure. Leurs allures sont dégourdies et remuantes, leur physionomie ouverte et gaie. Ces ouvriers des montagnes aiment les chants comme les Nîmois, et ils égaient volontiers leurs travaux par de continuels refrains. Doués d’un caractère sympathique, ils accueillent les étrangers avec bienveillance et se complaisent dans de longues causeries. On remarque chez les Cévenols une sorte de sentimentalité primitive unie à des facultés aimantes très vives, dont un écrivain du dernier siècle, né dans ce pays, Florian, a été l’interprète assez fidèle. Combien il y a loin cependant des chansons patoises que nous avons citées, qui sont connues jusque dans ce district, aux accens de Florian, qui ne célébraient guère que le plaisir ! Un trait poétique de la population cévenole, c’est la lutte presque toujours victorieuse des intérêts religieux contre les passions sensuelles. Cette population aime les fêtes, les jeux, les divertissemens de tous genres, mais elle reste frugale et économe dans son existence ordinaire, plus frugale et plus économe encore qu’à Nîmes. En outre, malgré la mobilité de ses instincts, elle conserve dans les actes sérieux un profond respect de la parole donnée.


III. – ÉTAT INTELLECTUEL ET INSTITUTIONS DES OUVRIERS NIMOIS ET CEVENOLS.

Au point de vue intellectuel, le développement des ouvriers séricicoles est plus étendu que ne le ferait croire l’état de l’instruction parmi eux. Leur travail même sollicite presque toujours leur intelligence par quelque côté et l’empêche de tomber dans l’engourdissement. Les merveilleux phénomènes qui s’accomplissent, par exemple, dans l’éducation des vers à soie, on l’a dit avant nous, portent l’esprit à la réflexion. Aussi la population de ce pays n’est-elle pas une population abrutie, même quand elle manque de ces études élémentaires que le patois contrarie sans cesse, et qui restent dans les Cévennes plus rares que dans la cité nîmoise.

On n’aurait pas, sous ce rapport, une idée exacte de la physionomie du groupe des Cévennes et des Garrigues, si on ignorait que le mouvement intellectuel n’y a guère dépendu jusqu’à ce jour des progrès de l’instruction. À Nîmes comme à Alais, comme à Uzès, dans les villes comme dans les campagnes, l’activité morale est dominée par des passions religieuses sorties toutes vivantes des souvenirs du passé. C’est de cette source que découlent les signes les plus originaux du caractère local. Ces animosités qui se sont mêlées à tous les événemens de l’histoire contemporaine, à tous les mouvemens matériels des populations, jettent de vives lumières sur l’esprit politique des classes ouvrières dans ce pays.