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extérieurs. Les fabricans de Vienne en Autriche, ceux de Paisley et de Glasgow dans le royaume-uni, qui ont l’avantage soit d’acheter les laines à plus bas prix, soit de posséder de plus puissans moyens de fabrication et de plus grandes ressources commerciales, lui ont enlevé les riches marchés de l’Amérique du Nord, et ceux de la Hollande et de la Belgique. Ni le goût et la fécondité artistiques de nos fabricans et de nos dessinateurs, ni les expédiens de fabrication toujours nuisibles d’ailleurs à la qualité des marchandises, ni l’expérience des ouvriers, dont quelques-uns, du reste, avaient été embauchés par la concurrence étrangère, ne purent triompher du malaise qui suivit ce grand échec. Les deux tiers au moins des tisseurs de châles travaillant à leur domicile furent contraints de vendre leurs métiers et de s’enrôler au service d’autres fabrications.

La belle industrie des tapis récemment installée à Nîmes, où elle jouit d’une merveilleuse prospérité, put heureusement recueillir un grand nombre de ces travailleurs dépossédés de leur besogne habituelle. Embrassant tous les genres, la tapisserie de cette ville a rapidement conquis la faveur du commerce, qui étale assez souvent ses articles sous les noms les plus anciennement connus[1]. Elle semble appelée à une fortune croissante, si, en élargissant ses moyens de production, elle parvient, par l’abaissement de ses prix, à propager l’usage des tapis, encore extrêmement restreint dans nos habitudes domestiques. Les ouvriers qu’elle emploie, et qui travaillent tantôt chez eux et tantôt en atelier, se trouvent dans des conditions économiques des plus favorables.

La troisième branche de l’industrie nîmoise, la bonneterie, a su combiner l’ancien métier à mailles avec la mécanique Jacquart, de manière à créer des genres nouveaux imitant la dentelle avec des dessins chinés, qui ont procuré au travail un utile aliment. On a ainsi remplacé une fabrication jadis florissante, celle des bas de soie aujourd’hui tout à fait déchue. Ce qui faisait la fortune de cet article, outre l’usage universel et quotidien du bas de soie parmi les classes aisées, c’était l’exportation dans les deux Amériques ; mais les fabricans nîmois, quoique placés dans un pays qui produit les plus belles soies du monde, quoique trouvant dans les Cévennes

  1. Nîmes confectionne les moquettes de toutes qualités, les étoffes de luxe pour meubles et tentures, les tapis écossais, jaspés ou sergés, les tapis veloutés et à chenilles, qui permettent l’emploi des fils de toutes couleurs, à la différence des moquettes, et présentent un tissu plus fini et des dessins mieux modelés. Ces derniers tapis cherchent à reproduire l’aspect des ouvrages des Gobelins, sans prétendre, bien entendu, à les égaler. Tandis qu’un ouvrier fabrique à Nîmes 2 mètres de tapis par jour, aux Gobelins on en fait quelques centimètres seulement, et les pièces coûtant aux Gobelins 25 ou 30,000 francs descendent à 1,000 francs dans le département du Gard.