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SYLVIE.

sur la porte, puis au dedans de hautes armoires en noyer sculpté, une grande horloge dans sa gaîne, et des trophées d’arcs et de flèches d’honneur au-dessus d’une carte de tir rouge et verte. Un nain bizarre, coiffé d’un bonnet chinois, tenant d’une main une bouteille, et de l’autre une bague, semblait inviter les tireurs à viser juste. Ce nain, je le crois bien, était en tôle découpée. Mais l’apparition d’Adrienne est-elle aussi vraie que ces détails et que l’existence incontestable de l’abbaye de Chaâlys ? Pourtant c’est bien le fils du garde qui nous avait introduits dans la salle où avait lieu la représentation ; nous étions près delà porte, derrière une nombreuse compagnie assise et gravement émue. C’était le jour de la Saint-Barthélémy, — singulièrement lié aux souvenirs des Médicis, dont les armes accolées à celles de la maison d’Esté décoraient ces vieilles murailles… Ce souvenir est une obsession peut-être ! — Heureusement voici la voiture qui s’arrête sur la route du Plessys ; j’échappe au monde des rêveries, et je n’ai plus qu’un quart d’heure de marche pour gagner Loisy par des routes bien peu frayées.

VIII. — LE BAL DE LOISY.

Je suis entré au bal de Loisy à cette heure mélancolique et douce encore où les lumières pâlissent et tremblent aux approches du jour. Les tilleuls, assombris par en bas, prenaient à leurs cimes une teinte bleuâtre. La flûte champêtre ne luttait plus si vivement avec les trilles du rossignol. Tout le monde était pâle, et dans les groupes dégarnis j’eus peine à rencontrer des figures connues. Enfin j’aperçus la grande Lise, une amie de Sylvie. Elle m’embrassa. « Il y a longtemps qu’on ne t’a vu, Parisien ! dit-elle. — Oh ! oui, longtemps. — Et tu arrives à cette heure-ci ? — Par la poste. — Et pas trop vite ! — Je voulais voir Sylvie ; est-elle encore au bal ? — Elle ne sort jamais qu’au matin, elle aime tant à danser. »

En un instant, j’étais à ses côtés. Sa figure était fatiguée ; cependant son œil noir brillait toujours du sourire athénien d’autrefois. Un jeune homme se tenait près d’elle. Elle lui fit signe qu’elle renonçait à la contredanse suivante. 11 se retira en saluant.

Le jour commençait à se faire. Nous sortîmes du bal, nous tenant par la main. Les fleurs de la chevelure de Sylvie se penchaient dans ses cheveux dénoués ; le bouquet de son corsage s’effeuillait aussi sur les dentelles fripées, savant ouvrage de sa main. Je lui offris de l’accompagner chez elle. Il faisait grand jour, mais le temps était sombre. La Thève bruissait à notre gauche, laissant à ses coudes des remous d’eau stagnante où s’épanouissaient les nénuphars jaunes et blancs, où éclatait comme des pâquerettes la frêle broderie des