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et le moment de la quitter n’était pas celui où il voyait le gouvernement et la cour représentés par l’homme qui l’avait tiré de prison. Après tout, le pouvoir n’est jamais tout à fait une faction ; il a des intérêts permanens, identiques à ceux de l’état, et le prudent Harley en particulier ne demandait pas mieux que de se poser en arbitre entre son parti et ses adversaires. Cette tactique allait à l’esprit et sans doute aux intérêts de notre écrivain. On le devina, car il parut avec un grand succès un pamphlet, intitulé Fautes des deux parts, qu’on attribua d’abord à Harley, puis à De Foe. Il n’était ni de l’un ni de l’autre ; mais il pouvait à tous deux leur servir de programme. De Foe, avant de se prononcer sur la politique, chercha un terrain neutre. Les fonds avaient baissé ; le monde financier était pour le ministère whig. Soutenir le crédit public est toujours œuvre de bon citoyen. De Foe écrivit pour dissiper les alarmes qui le déprimaient, et trouva moyen de seconder ainsi les nouveaux ministres sans dire aucun mal de leurs prédécesseurs. Deux écrits qu’il donna sur ce sujet étaient faits avec assez d’intelligence pour qu’on les ait crus de Harley lui-même, et qu’ils aient été imprimés sous son nom. Ainsi commença la nouvelle phase de la vie de De Foe comme pamphlétaire. Nous le verrons suivre avec sa verve accoutumée le cours de cette incohérente polémique, se ménager, se compromettre, attaquer dans ses doctrines le parti des ministres, en exceptant les ministres, s’obstiner à ne voir qu’un côté de la politique de Harley, tory pour les whigs, whig pour les tories, et sans abandonner ses opinions ni même ses passions, déserter ou combattre ceux qui les partagent, pour aider ou justifier leurs adversaires. On n’oserait affirmer que l’intérêt privé, la lassitude d’une position précaire, la crainte de nouveaux dangers personnels n’aient été pour rien dans un manège si compliqué ; pourquoi n’y pas voir aussi un besoin de bon citoyen, d’honnête bourgeois qui répugne à donner tort au gouvernement de la révolution, et cède à la séduction naturelle d’un certain rôle d’impartialité ? On aime aisément à signaler toutes les fautes, à éviter tous les excès, et on finit par encourir toutes les inimitiés. De Foe eut dans la presse le sort de Harley dans le gouvernement. C’est dire qu’il ne fut jamais le journaliste de Bolingbroke.

Avec la Revue, deux recueils périodiques se partageaient l’attention générale ; l’Observateur, par Tutchin, écrit en dialogues, où ne manque pas l’injure personnelle, et le Babillard (tie Tattler), par Richard Steele, plus modéré, mais dont l’esprit est le même. Tous deux étaient inspirés par la politique whig, et Steele avait la fidélité et la violence d’un homme de parti. Sous le ministère de Godolphin, il avait été choisi pour diriger la Gazette de la cour, le journal officiel du temps, et on l’avait en même temps pourvu d’une place de