Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/690

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Beaumarchais emploie pour décider son jeune ami à suivre un traitement rigoureux.


« Paris, ce 26 août 1783.

« Mon pauvre Francy, vous n’êtes qu’une bête de dire que je vous oublie ; mais comme vous êtes une bête malade, je vous pardonne. Si vous vous occupez de votre santé autant que je le fais, vous vous rétablirez assez promptement. Il faut seulement, mon ami, que vous n’ayez nulle pitié de vous-même, et que vous fassiez rigoureusement ce que je vais vous prescrire.

« J’ai eu deux conférences très graves avec M. Seiffert, votre médecin. Il n’a pas approuvé la saignée du pied, quoiqu’il ne vous l’ait pas écrit : il a craint de faire travailler votre esprit, et il a tourné autour du pot sur cet objet ; mais moi, avec qui il faut toujours parler net, voici ce que j’ai appris de lui pour résultat de sa théorie et de la belle expérience qu’il vient d’en faire sur Mme de Saint-Alban, qui était à la mort, — par conséquent bien autrement malade que vous, ayant la fièvre, l’extinction de voix, le marasme, crachant ses poumons, enfin désespérée et abandonnée de tout le monde. Écoutez-le raisonner : « L’âcreté de l’humeur qui se jette sur une partie affaiblie par accident, ou faible par nature, forme enfin un ulcère où se porte toute l’acrimonie du sang ; mais alors le crachement et tous les accidens provenant de la partie affligée ne sont eux-mêmes qu’un mal local, et tous les remèdes qu’on leur porte pallient, adoucissent ce local, sans détruire le premier vice. Quelques efforts qu’on fasse, si la compassion pour le malade empêche d’aller au fait sur le principe du mal, il ne fait que durer plus long-temps, mais il reste incurable. Je ne connais donc (dit M. Seiffert) qu’un seul moyen, qui est de détourner l’humeur du cours entier qu’elle a pris sur une partie faible, et de la porter à l’extérieur, d’autorité, et même avec violence. En conséquence, notre médecin, sans égard pour tous les galans, parens, complaisans, etc., de notre jolie petite Saint-Alban, vous lui a flanqué deux vésicatoires aux deux bras. Ils ne rendaient pas assez, selon lui, il lui en a flanqué un sur les épaules, et si l’humeur n’eût pas abondamment donné, il allait lui en mettre un sur la poitrine. — Bourreau ! lui criait-on ; il allait son train. Enfin, mon ami, elle a moins toussé, moins craché, elle a dormi, a retrouvé l’appétit, et lorsqu’on s’apprêtait à la pleurer, il a fallu rire avec elle de son emplâtre universel, qui lui a sauvé la vie. Elle a souffert, mais quelle différence de sort ! Depuis six semaines, elle se porte au mieux : elle a repris sa chair, ses couleurs, sa voix pour parler et chanter. Voilà ce que j’ai sous les yeux. Seiffert vous condamne donc, et moi aussi, à revenir vous faire emplâtrer de vésicatoires, ou bien prenez sur vous de le faire, où vous êtes ; mais soyez sûr qu’après bien des raisonnemens nous convenons tous qu’il faut s’y soumettre, et que la santé future en dépend. Tout le reste est de la graine d’ignorant. « Je le ferais, dit Seiffert, sur moi-même tout à l’heure, si mon mal de poitrine ne s’était pas terminé. » Eh ! vite aux vésicatoires, mon ami ! Criez, si cela vous soulage, ou revenez, et nous vous promettons de n’avoir nulle pitié de vos répugnances.

« Je ne puis trop remercier vos amis et les miens de tous les soins qu’ils