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de terrain neutre d’où il pouvait, sans se manquer à lui-même, tendre les mains aux fidèles ; en vain sentait-il son cœur saigner au moment de rompre les liens qui l’attachaient à la communauté chrétienne : sa loyauté l’emporta, et le sacrifice fut accompli : Maerklin sortit des rangs de l’église. Mort à la fleur de l’âge il y a quelques années, Maerklin nous présente au complet, dans l’obscurité de sa vie, toutes les infortunes morales dont le protestantisme allemand est le théâtre. Jamais ces luttes n’ont déchiré une âme plus noble, jamais plus touchante victime n’a mieux exprimé le malheur de tous.

On devine avec quelle sympathie M. Strauss a dû traiter un tel sujet. Il nous raconte la première éducation de Maerklin ; il suit le jeune écolier au couvent de Blaubeuren ; il nous le montre dans cette austère retraite, au milieu de ses condisciples qui presque tous, plus tard, prirent une part si active à ce travail de dissolution religieuse dont nous avons vu les derniers résultats. C’était le démocrate Zimmermann, l’ardent historien de la guerre des paysans, qui a siégé au parlement de Francfort ; c’était le jeune hégélien Vischer, auteur d’une Esthétique célèbre où les désolantes doctrines de son école sont appliquées avec un talent incontestable et une hardiesse sans vergogne ; c’était Gustave Pfizer, que l’imagination a préservé au moins des désordres de la pensée : poète aimable qui a mêlé à la douceur souabe une gravité sereine, critique honnête, résolu, qui le premier a combattu au nom des vraies traditions germaniques les tendances d’Henri Heine et provoqué hardiment les redoutables invectives du railleur ; c’était enfin M. le docteur Strauss lui-même. Au milieu de ce groupe d’élite, le jeune Maerklin s’était fait tout d’abord une place distincte par la sérénité de son intelligence et la parfaite droiture de son cœur. Comment ne pas être attristé en voyant ce noble esprit initié de si bonne heure à tous les sophismes d’une dialectique subtile et mensongère ? Maerklin était destiné au sacerdoce, et déjà, avant d’avoir vécu, avant d’avoir étudié par lui-même la réalité des choses humaines, il avait parcouru avidement tout le domaine des abstractions sophistiques.

Quand il fut nommé diacre, c’est-à-dire second pasteur de la ville de Calw en 1835, Christian Maerklin ne tarda pas à sentir que son christianisme n’était pas celui qu’il était chargé d’enseigner et de répandre. Cette triste découverte n’eut pas lieu tout à coup. La petite ville, de Calw, située dans une fertile, vallée sur la lisière de la Forêt-Noire, est une cité industrielle. Il y avait là bien des misères à soulager ; Maerklin s’y employa avec un admirable zèle, et l’exercice de la charité entretint longtemps ses illusions. Grave et pur, il se croyait très sincèrement chrétien, quoique, le Christ ne fût pour lui qu’une grande et belle âme, mieux inspirée que Socrate et Platon. Le jour où son ami Strauss publia la Vie de Jésus, Maerklin n’était pas encore aussi engagé que le célèbre novateur dans les voies de la négation. Ce Christ qui n’était autre chose qu’un personnage mythique aux yeux du docteur Strauss, il le reconnaissait comme un être réel ; — et bien que l’union du divin et de l’humain fût pour lui, d’après la théorie hégélienne, un fait éternel, un dogme supérieur et antérieur à Jésus, c’était le Christ cependant qui, par la sainteté de sa vie, avait réalisé cette union et conquis à l’humanité son glorieux patrimoine. C’était là, comme on voit, un christianisme hégélien, un christianisme où