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la fois bienveillant et sévère. La France a souvent opposé les travaux psychologiques des Anglais et des Écossais aux ambitieuses témérités de la métaphysique allemande ; M. Hermann Fichte ne craint pas de condamner le dédain de ses compatriotes à l’égard de l’école écossaise, et, suivant MM. Cousin et Jouffroy, il marque avec une véritable sympathie la place de cette sage école dans le développement du XIXe siècle.

Celle belle et féconde étude n’est que le préliminaire du système moral que nous promet M. Hermann Fichte. Ce système, on peut l’entrevoir déjà, il est écrit dans tous les jugemens de l’auteur. « Depuis un siècle, dit M. Fichte, on s’est attaché surtout à la conquête des droits de l’homme, et on a pensé que l’établissement de ces droits était le but de la science. Le but, c’est le perfectionnement moral de l’humanité, et les droits que l’homme réclame, les droits que lui ont assurés déjà les transformations de notre siècle, ne doivent être pour lui qu’un moyen de marcher plus sûrement à ce but. Ce n’est pas assez de dire : « Le droit est corrélatif au devoir ; tout droit suppose nécessairement un devoir ; » il faut établir surtout que les droits nouvellement acquis, la liberté civile, l’égalité devant la loi, en un mot toutes les garanties sociales, indiquent le début d’une période nouvelle dans ce travail de perfectionnement, qui est la suprême loi de l’humanité. Ce sont des instrumens meilleurs, ce sont des armes plus savantes qu’on lui donne ; quel usage en fera-t-elle ? Voilà ce que la philosophie morale doit lui dire. Tout système de morale sociale qui ne parle à l’homme que de ses droits et des devoirs corrélatifs à ces droits ne soupçonne même pas les conditions du problème. »

Il y a, ce me semble, une belle inspiration, une ardeur vraiment originale dans l’Ethique de M. Hermann Fichte. Une telle préface oblige singulièrement celui qui l’a écrite ; espérons que l’auteur tiendra toutes ses promesses. Or, au moment où M. Fichte établissait ainsi la loi du perfectionnement spirituel, un autre écrivain du même groupe, M. Henri-Maurice Chalybaeus, publiait un système complet de morale intitulé : Système de l’Éthique spéculative, ou Philosophie de la famille, de l’état et de la vie religieuse. M. Chalybaeus s’était fait connaître, il y a déjà plusieurs années, par une opposition habile au panthéisme de Hegel ; son Histoire de la philosophie allemande depuis Kant attestait une intelligence nette et résolue. Dans l’ouvrage qu’il donne aujourd’hui, il ne se contente pas de condamner des erreurs assez décriées déjà par les conséquences qu’elles ont produites, il met en face du panthéisme et de l’idéalisme absolu une doctrine toute pratique. « La science ! disent les docteurs hégéliens, le système de la science ! » La grande affaire de l’homme, à les entendre, ce serait le savoir universel ; quant à l’art de bien vivre, leur philosophie ne s’en occupe guère. Il s’est formé dans l’école une sorte de quiétisme intellectuel, et l’orgueil ou la prétention de savoir y a détruit le juste sentiment de la vie. Ce quiétisme a eu dans l’Allemagne d’aujourd’hui les mêmes résultats que le mysticisme du moyen âge. Une fois qu’ils ont senti le besoin de vivre, et qu’ils sont redescendus sur la terre, les disciples, déshabitués de toute règle, ont embrassé la matière avec délire. Les écrivains dont je rassemble ici les noms sont bien décidés à faire ce que fit Socrate il y a plus de deux mille ans, lorsqu’il obligea la philosophie à sortir des nuages, et qu’il lui apprit à marcher au milieu des hommes. M. Chalybaeus a horreur