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donnent le signal du repas ; nul n’a continué après que le président a prononcé les quelques mots qui remplacent les grâces. J’admirais dans mon coin ces usages religieux universellement respectés, cette patience d’une telle foule en présence d’un service nécessairement insuffisant, et surtout cette bienveillance générale qui se lisait sur ces bonnes figures de cultivateurs.

Le moment des toasts était venu ; le président a commencé par porter suivant l’usage, au milieu d’un profond silence, le toast national à la reine et à la famille royale ; l’assemblée entière, debout, y a répondu par l’enthousiasme traditionnel et avec les dix salves de hourras requises en pareil cas. Voilà déjà bien des fois que j’assiste à l’accomplissement de cette formalité indispensable de toute réunion anglaise, et ce n’est jamais sans émotion que je vois ce grand peuple renouveler avec orgueil cet acte de respect et d’amour pour la personnification de la majesté nationale. Le nom de la reine représente pour tout Anglais l’ensemble de cette organisation politique qui fait à la fois la puissance du pays et la liberté de chacun de ses membres, et certes cette démonstration n’est jamais mieux à sa place que quand il s’agit de l’agriculture, qui doit toute sa prospérité au régime constitutionnel dont l’histoire se confond avec celle de la maison de Hanovre.

Après les toasts loyaux, comme on les appelle, les toasts particuliers et les discours. M. Ingersoll, ministre des États-Unis, a répondu au toast dont il a été l’objet avec l’aplomb et la facilité dont il a déjà fait preuve dans plusieurs réunions semblables. C’est encore un des excellens usages de l’Angleterre que cette habitude d’appeler les étrangers de distinction, aussi bien que les personnages importans du pays, à ces grandes assemblées. La nation peut ainsi connaître personnellement, outre ses propres chefs, ceux qui représentent auprès d’elle les nations étrangères. M. Ingersoll n’est pas seulement le ministre des États-Unis auprès du gouvernement anglais, il a eu déjà plusieurs fois l’occasion de parler publiquement à des meetings, et ses discours, reproduits par tous les journaux, sont lus dans l’Angleterre entière. Tout le monde aujourd’hui connaît M. Ingersoll et ses argumens en faveur de l’émigration anglaise en Amérique. Il en est de même d’Halliburton. Sans cette occasion, la plupart de ceux qui étaient présens n’auraient jamais vu l’honnête visage de Sam Slick et entendu sa parole pleine d’une bonhomie facétieuse. Aujourd’hui l’auditoire, qu’il a amusé par ses saillies et qui a ri de si bon cœur en l’écoutant, ne l’oubliera plus, et je suis pour mon compte heureux de l’avoir vu.

Le discours du président, lord Ashburton, me parait particulièrement digne de remarque au milieu de tous ceux qui ont été prononcés. Le noble lord a développé cette idée, que, de toutes les industries britanniques, l’agriculture était la plus florissante, la plus perfectionnée, et il a eu raison. « D’autres nations, a-t-il dit, peuvent nous disputer la palme pour les manufactures et le commerce : la France produit de plus belles soieries, la Suisse de meilleures cotonnades, l’Amérique nous égale pour la navigation ; mais le produit de l’agriculture anglaise est sans égal. Le monde entier vient apprendre l’agriculture à notre école. » L’orateur s’est d’autant plus félicité de ce succès qu’eu égard aux risques de tout genre qui menacent le cultivateur, l’agriculture lui parait le plus difficile, le plus chanceux de tous les arts, celui qui fait le plus grand honneur à l’énergie humaine. L’existence