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La réponse avait heureusement dissipé tous les doutes. Les cabinets consultés s’étaient rencontrés dans la même pensée : à savoir que l’intégrité du Danemark et l’ordre de succession dans ce pays constituent une question européenne, et que la couronne ne pourrait devenir vacante sans que les puissances signataires de la convention de Londres fussent appelées à participer à de nouveaux arrangemens. Le cabinet danois et les chambres ont trouvé cette explication pleinement rassurante, et le traité a reçu la sanction dont il avait besoin pour faire loi dans l’état dont il règle l’avenir. On ne peut qu’applaudir au dénouement que reçoit cette question, si grave pour l’équilibre européen. Plusieurs années déjà avant la révolution de 1848, la succession au trône de Danemark et le maintien de l’intégrité de ce pays préoccupaient les populations du royaume et les cabinets. La révolution, survenant au milieu de ces préoccupations, les avait envenimées au dernier point. On avait vu les duchés transformés en un champ de bataille où des chocs sanglans avaient eu lieu, et le Danemark avait dû payer largement sa dette au génie de la guerre. Au reste, ou ne saurait trop louer le courage et le patriotisme qu’il a montrés au milieu de ces épreuves. Le gouvernement et les citoyens ont à cet égard rivalisé de dévouement et de zèle. Les passions de parti se sont tues devant le grand intérêt qui était en jeu, et aucun sacrifice n’a été épargné pour la défense nationale. Les Danois ont donné là une preuve éclatante de vitalité et d’énergie politique. Ils sortent de cette crise assurés de leur avenir et entourés de l’estime de tous ceux qui savent apprécier le civisme et le courage dans la vie des peuples.

De ce spectacle du vieux continent, jetons maintenant un moment les regards vers le Nouveau-Monde. Certes, l’histoire de ces états d’hier n’est point sans incidens et sans catastrophes, et il est curieux souvent de suivre les reflets de l’Europe jusque dans ces républiques de l’Amérique, où toutes les influences, toutes les passions, entrent en lutte pour n’aboutir malheureusement qu’à une anarchie sans cesse renaissante. La Nouvelle-Grenade, on peut s’en souvenir, est un de ces états où ont sévi toutes les influences révolutionnaires de l’Europe, et qui a eu la merveilleuse fortune d’être gouverné à la façon démocratique, et même socialiste ; du reste, bien loin de s’arrêter dans cette voie, la Nouvelle-Grenade ne fait qu’aller plus avant. Dans l’année qui vient de s’écouler, tous les évêques ont été exilés du pays. L’ancien président, le général Hilario Lopez, vient d’être remplacé, il y a peu de temps, par le général Obando, dont la candidature a vu le jour dans les clubs les plus violens de Bogota. Le parti démocratique gouverne d’une manière à peu près absolue ; il n’existe plus même de journaux conservateurs ; enfin une constitution élaborée depuis deux ans déjà vient d’être définitivement votée ; comme on doit le penser, elle consacre tout ce que la démocratie a imaginé de mieux. D’abord tous les magistrats sont soumis à l’élection populaire. Les gouverneurs des provinces sont également élus ; mais ce qu’il y a de plus particulier, c’est qu’ils sont en même temps les agens du pouvoir exécutif, qui se trouve ainsi dispensé du soin de les choisir et de les nommer. Voici quatre ans déjà pourtant qu’un tel état dure dans la Nouvelle-Grenade, que toutes les prédications révolutionnaires y soufflent l’anarchie, que le pays tout entier se trouve enveloppé dans un réseau de clubs de la plus extrême violence,