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Comme on peut le pressentir d’après les événemens auxquels MM. Van der Duyn et de Capellen ont assisté ou pris part, leurs souvenirs embrassent toute la période écoulée depuis l’avènement du roi Louis Bonaparte jusqu’à ces dernières années. Nous suivrons, pour les faire connaître, l’ordre des temps.

M. de Capellen n’entre pas dans de grands détails sur le règne de Louis Bonaparte. Après avoir été successivement membre du conseil des finances, puis assesseur du département d’Utrecht, M. de Capellen, lors de la création du département de l’Ost-Frise, en fut nommé préfet : le roi Louis l’avait rappelé, « comme étant trop Ost-Frisois, » pour le placer au conseil d’état. Un jour, après une séance de ce conseil, il le manda dans son cabinet et lui annonça qu’il venait de réunir sur sa tête deux ministères, celui des cultes et celui de l’intérieur, jusque-là séparés, et qu’il l’attendait le soir même pour prêter serment, afin d’être installé le lendemain dans ses nouvelles fonctions. M. de Capellen se défendit d’accepter un fardeau qui lui paraissait au-dessus de ses forces. Le roi lui répondit : « C’est sur moi que tombe la responsabilité, puisque c’est moi qui vous ai choisi ; les conséquences sont pour mon compte. »

Le gouvernement du roi Louis était despotique, selon l’expression de M. de Capellen. Les ministres ne formaient point un corps homogène ; il leur était même interdit de délibérer entre eux. Chacun faisait les affaires de son département et en rendait compte au roi, qui entrait dans beaucoup de détails. Il présidait la réunion des ministres, qui lui présentaient individuellement leurs rapports et n’émettaient un avis que s’il les consultait. « Le corps législatif, dit M. de Capellen, était très insignifiant et adoptait presque toujours ce qui lui était présenté pour la forme. C’est au conseil d’état, où les ministres assistaient toujours et où le roi présidait, que les affaires, spécialement les projets de loi, étaient traitées sérieusement et à fond. Le roi prenait part aux discussions, et l’on a souvent remarqué la justesse de ses observations. Les discussions étaient d’ailleurs parfaitement libres en sa présence. Il s’était efforcé d’apprendre la langue hollandaise et avait pris des Leçons de MM. Bilderdijk et Van Lennep ; mais il n’y put parvenir. Il essaya plusieurs fois de parler cette langue, et en 1809 il prononça, à l’ouverture de l’ordre de l’Union, un discours hollandais qui fut à peine intelligible. « Il voulut, ajoute M. de Capellen, de bonne foi s’identifier avec la nation, et il épousa vivement ses intérêts ; mais il se faisait illusion et voulait oublier qu’il ne devait son trône éphémère qu’à la volonté de son frère… Un de ses grands défauts était un esprit extrêmement soupçonneux. On aurait eu beau le servir avec la plus grande fidélité et le dévouement le plus absolu, on n’était jamais sûr d’être à l’abri de ses soupçons.