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y avait placés, et ils se préparaient à ravager de nouveau les districts apicoles. Il ne faut donc pas s’imaginer que la paix soit faite avec les Sakanans et les Serebas ; on doit au contraire s’attendre à de longues luttes, et surveiller de plus près les tribus de Bornéo.

Dans l’espace compris entre la pointe nord-est de cette grande île et l’extrémité sud-ouest de Mindanao s’étend l’archipel Soulou, dont les habitans ont figuré avec éclat dans les fastes de la piraterie. Pendant de longues années, ces forbans ont tenu victorieusement la mer qui baigne les Célèbes, les Moluques et les Philippines. Tandis que leurs pros allaient jusque dans la baie de Manille, sous le canon des forts espagnols, enlever des villages entiers, ils recevaient sur le marché de leur capitale le produit des rapines exercées dans les autres parages de la Malaisie par les Sakarrans, les Serebas et les Illanos. En diverses rencontres, ils avaient vu fuir devant eux les faluas (chaloupes canonnières) chargées de protéger les côtes de Luçon, et ils bravaient impunément les menaces du capitaine-général, qui réclamait, au nom de la couronne d’Espagne, la propriété ou tout au moins le protectorat de leur archipel. — En 1577, six ans après la fondation de Manille, une escadre des Philippines parut devant Soulou, qui fut obligé de capituler ; mais dès que le pavillon espagnol se fut éloigné de la rade, la population reprit ses habitudes de piraterie. À la suite de plusieurs expéditions, les Espagnols se décidèrent, en 1638, à occuper Soulou ; ils l’évacuèrent en 1644, et pendant près d’un siècle ils n’y firent plus d’apparition. Ce fut seulement vers le milieu du XVIIIe siècle que leur attention fut de nouveau attirée sur l’archipel dans une pensée de propagande catholique. Le sultan Aly-Muddin venait de monter sur le trône. Comme il avait passé une partie de sa jeunesse à Samboangan, dans un collège de jésuites, le roi d’Espagne pensa que le moment était opportun pour introduire le catholicisme à Soulou, et il écrivit au sultan une lettre en faveur de la loi chrétienne. Aly-Muddin consentit à recevoir quelques jésuites. Peu après, on le vit débarquer à Manille dans l’état le plus misérable. Il annonça qu’il avait été chassé par son frère et qu’il venait demander asile à ses alliés. Il fut accueilli avec enthousiasme, comblé d’honneurs et de présens ; on fit mieux : le capitaine-général arma une escadre qui devait le reconduire en triomphe et le rétablir sur le trône. Malheureusement on découvrit en route que le pieux Aly-Muddin s’entendait parfaitement avec son frère. Il avait imaginé de se rendre à Manille pour y étudier de plus près les ressources et les forces des Espagnols, qu’il avait le projet d’attaquer plus tard au centre même de leurs possessions. Le sultan qui avait osé se jouer si effrontément de la crédulité du roi des Espagnes fut ramené à Manille et jeté dans un cachot, d’où il ne sortit qu’en 1763, lorsque les Anglais se furent emparés des Philippines. Il obtint alors d’être transporté à Soulou, moyennant la cession de l’île de Balambagan, où la Grande-Bretagne établit une garnison, et son frère lui remit fidèlement son autorité. Ce dernier trait de probité malaise n’est pas le moins curieux de toute cette histoire. Le nom et les aventures du sultan Aly-Muddin sont demeurés populaires dans l’archipel. Il est inutile d’ajouter que la propagande tentée par les jésuites fut complètement stérile, et qu’il n’y eut jamais d’autres chrétiens à Soulou que les esclaves vendus par les pirates.

Ces brigandages, trop longtemps subis, devaient avoir un terme. De 1845