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Elle se figura qu’il regrettait Paris ; elle le conjura à genoux d’y aller passer un mois. Il lui jura qu’il ne le désirait pas. Sa mélancolie continuait. — Je mets à un grand hasard le bonheur de ma vie, lui dit un jour Mina ; mais la mélancolie où je vous vois est plus forte que mes résolutions. — Alfred ne comprenait pas trop ce qu’elle voulait dire, mais rien n’égala son ivresse quand, après midi, Mina lui dit : — Menez-moi à Torre del Greco.

Elle crut avoir deviné la cause du fonds de tristesse qu’elle avait remarqué chez Alfred, depuis qu’elle était toute à lui, car il était parfaitement heureux. Folle de bonheur et d’amour, Mina oublia toutes ses idées. — La mort et mille morts arriveraient demain, se disait-elle, que ce n’est pas trop pour acheter ce qui n’arrive depuis le jour où Alfred s’est battu. — Elle trouvait un bonheur délicieux à faire tout ce que désirait Alfred. Exaltée par ce bonheur, elle n’eut pas la prudence de jeter un voile sur les fortes pensées qui faisaient l’essence de son caractère. Sa manière de chercher le bonheur, non-seulement devait paraître singulière à une âme vulgaire, mais encore la choquer. Elle avait eu soin jusque-là de ménager dans M. de Larçay ce qu’elle appelait, les préjugés français ; elle avait besoin de s’expliquer par la différence de nation ce qu’elle était obligée de ne pas admirer en lui : ici Mina sentit le désavantage de l’éducation forte que lui avait donnée son père, cette éducation pouvait facilement la rendre odieuse.

Dans son ravissement, elle avait l’imprudence de penser tout haut avec Alfred. Heureux qui, arrivé à ce période de l’amour, fait pitié à ce qu’il aime et non pas envie ! Elle était tellement folle, son amant était tellement à ses yeux le type de tout ce qu’il y avait de noble, de beau, d’aimable et d’adorable au monde, que, quand elle l’aurait voulu, elle n’aurait pas eu le courage de lui dérober aucune de ses pensées. Lui cacher la funeste intrigue qui avait amené les événemens de la nuit d’Aix était déjà depuis longtemps pour elle un effort presque au-dessus de ses facultés.

Du moment où l’ivresse des sens ôta à Mina la force de n’être pas d’une franchise complète envers M. de Larçay, ses rares qualités se tournèrent contre elle. Mina le plaisantait sur ce fonds de tristesse qu’elle observait chez lui. L’amour qu’il lui inspirait se porta bientôt au dernier degré de folie. « Que je suis folle de m’inquiéter ! se dit-elle enfin. C’est que j’aime plus que lui. Folle que je suis, de me tourmenter d’une chose qui se rencontre toujours dans le plus vif des bonheurs qu’il y ait sur la terre ! J’ai d’ailleurs le malheur d’avoir le caractère plus inquiet que lui, et enfin, Dieu est juste, ajouta-t-elle en soupirant (car le remords venait souvent troubler son bonheur