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obligée, à chaque instant, à jeter un voile sur sa pensée allemande si pleine de franchise. M. de Larçay la dispensait d’une foule de petits mots et de petits gestes demandés par l’élégance. Cela le vieillissait de huit ou dix ans ; mais, par cela même, il occupa toute la pensée de Mina pendant toute la première heure qui suivit son départ.

Le lendemain, elle était obligée de faire un effort pour écouler même Mme de Cely ; tout lui semblait froid et méchant. Mina ne regardait plus comme une chimère, qu’il fallait oublier, l’espoir de trouver un cœur franc et sincère, qui ne cherchât pas toujours le motif d’une plaisanterie dans la remarque la plus simple ; elle fut rêveuse toute la journée. Le soir, Mme de Cely nomma M. de Larçay ; Mina tressaillit et se leva, comme si on l’eût appelée ; elle rougit beaucoup et eut bien de la peine à expliquer ce mouvement singulier. Dans son trouble, elle ne put pas se déguiser plus longtemps à elle-même ce qu’il lui importait de cacher aux autres. Elle s’enfuit dans sa chambre. — Je suis folle, se dit-elle. À cet instant, commença son malheur : il fit des pas de géant ; en peu d’instans, elle en fut à avoir des remords. — J’aime d’amour, et j’aime un homme marié ! — Tel fut le remords qui l’agita toute la nuit.

M. de Larçay, partant avec sa femme pour les eaux d’Aix en Savoie, avait oublié une carte sur laquelle il avait montré à ces dames un petit détour qu’il comptait faire en allant à Aix. Un des enfans de Mme de Cely trouva cette carte ; Mina s’en empara et se sauva dans les jardins. Elle passa une heure à suivre le voyage projeté de M. de Larçay. Les noms des petites villes qu’il allait parcourir lui semblaient nobles et singuliers ; elle se faisait les images les plus pittoresques de leur position ; elle enviait le bonheur de ceux qui les habitaient. Cette douce folie fut si forte, qu’elle suspendit ses remords. Quelques jours après, on dit chez Mme de Cely que les Larçay étaient partis pour la Savoie. Cette nouvelle fit une révolution dans l’esprit de Mina ; elle éprouva un vif désir de voyager.

À quinze jours de là, une dame allemande, d’un certain âge, arrivait à Aix en Savoie, dans une voiture de louage prise à Genève. Cette dame avait une femme de chambre contre laquelle elle montrait tant d’humeur, que Mme Toinod, la maîtresse de la petite auberge où elle était descendue, en fut scandalisée. Mme Cramer, c’était le nom de la dame allemande, fit appeler Mme Toinod. — Je veux prendre auprès de moi, lui dit-elle, une fille du pays qui sache les êtres de la ville d’Aix et de ses environs ; je n’ai que faire de cette belle demoiselle que j’ai eu la sottise d’amener et qui ne connaît rien ici.

— Mon Dieu ! votre maîtresse a l’air bien en colère contre vous !