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LE TIERS-ETAT


ET


DE SON ROLE POLITIQUE EN FRANCE.





Essai sur l’histoire de la formation et des progrès du Tiers-État, par M. Augustin Thierry.




On ne mesure l’action exercée par les esprits créateurs qu’en comparant le point où ils ont pris la science avec celui où ils l’ont conduite. En se reportant à ce qu’étaient les études historiques pour la génération qui nous a précédés, nous embrassons sans effort l’étendue de la révolution qui s’opéra sous l’influence de quelques intelligences supérieures éclairées par le jour que les bouleversemens de notre siècle ont soudainement répandu sur le passé. Qu’était l’histoire de France pour la jeunesse à laquelle on l’enseignait d’après les résumés d’Anquetil ? Qu’était-elle pour nos pères, condamnés à l’étudier dans les dissertations du père Daniel et les narrations pompeuses de l’abbé Velly, les seules sources ouvertes aux gens du monde depuis que le sévère Mézeray avait vieilli et que Varillas était enterré sous l’amas de ses compilations indigestes ? Quelle idée éveillait dans l’esprit, quelle émotion pouvait susciter dans l’âme ce froid récit espacé règne par règne, dans le cours duquel tous les acteurs revêtaient le même costume, parlaient la même langue, exprimaient invariablement les mêmes idées ? La France administrative de Colbert, la monarchie absolue de Richelieu, les guerres de Flandre du grand roi et les plaisirs de sa cour, tel était le cadre où se montraient, habillés comme on l’était au Théâtre-Français avant la réforme de Talma, ces chefs barbares qui avaient renversé la société gallo-romaine,