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chance avec le Censeur, qui vécut à peine une année. Le Censeur mort, il ne resta plus au gouvernement d’autre organe que la Gazette du Massachusetts, publiée tous les lundis par les imprimeurs Mill et Hicks. La cause royaliste fut soutenue avec talent dans ce journal par plusieurs des hauts fonctionnaires et des personnages marquans de la province ; presque tous les rédacteurs étaient ou des légistes, ou des hommes politiques habitués au maniement des affaires et qui avaient joué un rôle dans la colonie. On peut citer parmi les principaux le jurisconsulte Daniel Léonard, qui avait débuté par être whig ; le lieutenant-gouverneur André Ollivier, le doyen du conseil du Massachusetts ; William Brattle, en qui John Adams trouva un rude jouteur, et l’avocat-général Jonathan Sewall. La Gazette du Massachusetts dut à Daniel Léonard une série d’articles fort habiles, signés, suivant l’usage anglais, du pseudonyme latin de Massachusettensis, et qui firent une si grande impression que les whigs jugèrent nécessaire d’en publier une réfutation en règle. Le soin de l’écrire fut confia à John Adams, qui prit à son tour le pseudonyme de Novanglus. Cette polémique remarquable, qu’on n’a pas dédaigné de réimprimer en 1823 comme un document capital pour l’histoire de la révolution, fut brusquement terminée par la journée de Lexington, qui vit couler le sang américain. À partir de ce moment, il fut impossible de rien publier en faveur de la cause royale sans attirer sur soi les violences populaires. Ce ne fut pas seulement à Boston que la terreur imposa silence aux écrivains loyalistes : à New-York, un rassemblement se forma et se porta sur le collège du roi pour saisir et jeter à l’eau le docteur Myles Cooper. Hamilton, averti de ce qui se passait, devança le rassemblement, et, du haut des marches du collège, il harangua la foule, la suppliant de ne pas déshonorer la cause américaine par un assassinat : il arrêta quelques instans cette multitude furieuse, et donna par-là à son ancien maître le temps de s’échapper et de gagner un des bâtimens de guerre stationnés dans la rade, Hamilton réussit également à sauver la vie de Thurman, membre de la législature de New-York, mais il ne put préserver du pillage et de la destruction la maison et les ateliers de James Rivington, imprimeur de la Gazette royale. Ce furent ces excès, préludes de nombreux massacres et de proscriptions en masse, qui révoltèrent l’âme noble et généreuse d’Hamilton et le jetèrent dans la vie des camps. Pour se soustraire au spectacle de scènes qui eussent attristé son cœur et ébranlé ses convictions, il déposa momentanément la plume et endossa l’habit du soldat.

Ces violences et ces persécutions, qui devaient redoubler de rigueur pendant la guerre, s’expliquent par les défections journalières que subissait la cause populaire. À mesure que la rupture avec la métropole devenait plus imminente et la nécessité de décider la querelle par les armes plus manifeste, le doute pénétrait dans les esprits et l’hésitation dans les cœurs. Les hommes modérés et réfléchis élevaient la voix pour prêcher la conciliation, beaucoup de patriotes sincères croyaient la prospérité de l’Amérique attachée à son union avec la métropole, et étaient convaincus que, même si la guerre réussissait et conduisait à l’indépendance, on n’aboutirait par des flots de sang qu’à la ruine des colonies. Était-ce pour une question théorique, où le droit paraissait douteux, qu’il fallait rompre avec l’Angleterre, au lendemain du jour où cette