Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/487

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le Massachusetts pour avoir osé plaider en 1758 l’illégalité du droit de perquisition que s’arrogeaient les employés des douanes ; le jurisconsulte Oxenbridge Thacher, profondément versé dans les questions de droit administratif, de commerce et de finances ; l’opulent Samuel Dexter, qui mettait sa fortune et son esprit au service des lettres et de ses amis politiques ; John Adams, qui devait être le premier successeur de Washington ; James Bowdoin, et toute cette pléiade d’orateurs, de légistes et de patriotes qui se prononcèrent pour l’indépendance dès le début de la lutte, qui ne désespérèrent point après les premiers revers, et que les Américains désignent par cette appellation collective : les hommes de 76, comme nous disons en France les hommes de 89.

À cette époque, la conquête du Canada vint dissiper les inquiétudes qu’inspirait aux Américains le voisinage de la domination française, et rendit moins nécessaire à leurs yeux la protection de la métropole. Cette sécurité, longtemps souhaitée, fut favorable au développement des sentimens d’indépendance qui fermentaient déjà dans quelques colonies, et dont l’acte du timbre détermina la première explosion. L’impulsion partit de la province où les théories politiques avaient été le moins débattues et où elles semblaient devoir exercer le moins d’empire. Ce fut l’assemblée de Virginie qui donna le signal par la célèbre déclaration qui porte le nom de Résolutions de Virginie, et où les droits des colonies sont établis et les prétentions du parlement repoussées, en vertu des mêmes principes qui servirent, douze ans plus tard, de base à la déclaration d’indépendance. Ces résolutions furent proposées et défendues par un légiste dont l’éloquence est demeurée proverbiale aux États-Unis, par Patrick Henry ; elles furent votées le 29 mai 1765. Le gouverneur se fit apporter par le secrétaire de l’assemblée le registre des délibérations ; il en arracha lui-même le texte de la déclaration qu’il mit en pièces, et il prononça immédiatement la dissolution de l’assemblée. Cependant une copie des résolutions avait déjà été envoyée à Annapolis, à la Gazette du Maryland, qui s’empressa de publier ce document et qui y donna toute son approbation. Dans cette Gazette du Maryland écrivait alors Charles Carroll, qui fut un des signataires de la déclaration d’indépendance, et qui, comme plusieurs des hommes qui exercèrent une influence décisive sur la révolution américaine, devait à la France et aux idées françaises une partie de son éducation et de ses convictions. D’origine irlandaise et catholique de naissance, Charles Carroll avait été envoyé tout enfant au célèbre collège de Saint-Omer, où fut élevé plus tard O’Connell, et de là à Louis-le-Grand, puis enfin à Bourges, où il étudia le droit civil. Il avait ensuite, passé deux ans à Londres, à Temple-Bar, pour apprendre la jurisprudence anglaise. Il venait de rentrer dans son pays natal à l’âge de vingt-sept ans, et de débuter avec éclat au barreau, quand l’acte du timbre le jeta dans la presse et fit de lui le chef de l’opposition dans le Maryland. C’est par le journal de Carroll que le texte des Résolutions de Virginie fut connu dans les colonies du centre. On s’arracha la Gazette du Maryland, et le président de l’assemblée de Pennsylvanie, Galloway, ne put s’en procurer un exemplaire pour l’envoyer à Franklin : il dut transcrire de sa main la copie qu’il avait. Franklin, que ses compatriotes consultaient, les exhorta à la résistance et reprit la plume pour les encourager. Il ne se borna pas à attaquer l’acte du timbre dans ceux des journaux