Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme les affaires et l’histoire des anciens habitans de ce pays. Nous imprimerons ces communications avec soin, sur le plus beau papier possible et dans le format in-4o. » Franklin, quoique plus riche de son propre fonds, se trouvait aussi quelquefois en présence d’une page blanche ; mais il faisait tourner au profit de la morale ces lacunes de la politique, « Je considérais aussi mon journal, dit-il quelque part, comme un moyen de plus de répandre l’instruction, et dans cette vue j’y réimprimais fréquemment des extraits du Spectateur et d’autres écrits moraux ; j’y publiais aussi parfois de petites pièces de ma façon qui avaient été composées pour être lues au sein de notre société littéraire. » Franklin cite particulièrement deux pièces de ce genre : « un dialogue socratique tendant à prouver qu’un homme vicieux, quels que soient ses dons naturels et ses talens, ne peut jamais être avec justesse qualifié d’homme de sens ; et un discours sur l’empire à exercer sur soi-même, ayant pour objet de montrer que la vertu n’est bien assurée qu’autant que la pratique du bien est passée en habitude, et ne rencontre plus l’opposition d’inclinations toutes contraires. » On voit, par les paroles mêmes que nous venons de citer, que Franklin conservait pour le Spectateur une admiration persévérante. L’imitation d’Addison est manifeste dans son journal : Franklin emprunte la manière, le ton, et jusqu’à la mise en scène de l’écrivain anglais, Ses articles sont de petits essais de morale, ou le développement de pensées philosophiques, parfois de simples lieux communs, médiocrement rajeunis. On trouve dans le nombre une couple de portraits à la façon de La Bruyère, et finement esquissés : mais le cadre que Franklin ambitionne est celui d’une lettre, et il prend à ravir le ton du badinage ou celui d’une malicieuse bonhomie. Il s’est adressé à lui-même une foule de lettres humoristiques sur des points de morale pratique et sur l’économie domestique. Un assez grand nombre de ces articles ont été recueillis dans l’édition des œuvres complètes de Franklin, par M. Jared Sparks ; nous n’en citerons donc aucun, préférant nous en tenir à une annonce, qui se trouve dans le numéro du 23 juin 1737 : « Il a été enlevé, il y a quelques mois, d’une des stalles de l’église, un livre de prières relié en rouge, doré et portant sur les deux couverts les initiales D et F (Deborah Franklin). La personne qui a pris ce livre est invitée à l’ouvrir, à y lire le huitième commandement, et à le replacer ensuite dans la stalle où il était, moyennant quoi il ne sera plus question de rien. » Nous ne savons si la femme de Franklin retrouva son livre de prières à sa place, mais l’avis au voleur méritait ce succès : il est caractéristique, et montre mieux que de longues citations la manière originale de cet excellent journaliste et le tour piquant qu’il savait donner à ses idées.

L’âge et l’expérience avaient corrigé chez Franklin ce penchant à la satire et à la malignité qu’il s’accuse d’avoir trop écouté dans sa jeunesse ; aussi la Gazette ne lui attira-t-elle aucun des désagrémens que le Courrier avait valus à son frère et à lui. Il publia même dans son journal, en 1757, sur la liberté de la parole et de la presse, un article dont les doctrines étonneraient bien ses successeurs de la presse américaine. Franklin avait d’autant plus de mérite à s’observer ainsi, qu’il était, comme les journalistes de tous tes temps et de tous les pays, en butte à de perpétuelles obsessions de la part de tous les gens qui avaient une rancune à satisfaire ou un amour-propre à soulager. Il rend