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en Angleterre. La presse, poursuivie avec acharnement par les Stuarts, n’avait commencé à respirer qu’en 1688. Aucun journal n’avait d’existence assise, de clientelle étendue, de réputation faite. La première feuille quotidienne ne devait paraître à Londres que vingt ans plus tard, en 1723. S’il en était ainsi dans la riche et populeuse Angleterre, où de si grands intérêts commerciaux avaient besoin de la publicité, et avec une capitale comme Londres, qui était déjà la ville la plus peuplée du monde, quelles chances d’existence pouvait avoir un journal dans les colonies d’Amérique ? La population totale des plantations, comme on les appelait alors, atteignait déjà à 200,000 âmes ; mais cette population, disséminée sur trois cents lieues de côtes, se répartissait entre dix ou onze colonies, dont quelques-unes encore à l’état d’enfance, et qui formaient toutes autant de sociétés distinctes, gouvernées par des administrations séparées, régies par des lois différentes et sans relations entre elles. Les colonies de la Nouvelle-Angleterre, qui composaient le groupe le plus considérable, n’avaient ensemble que 80,000 habitans, et Boston, qui, par le nombre de ses habitans, par l’activité de son commerce, par les ressources qu’elle offrait, tenait, sans conteste, le premier rang parmi les cités américaines, Boston ne comptait pas plus de 8,000 âmes. La population d’ailleurs n’était pas seulement clair-semée, elle était pauvre, et privée des industries les plus indispensables. Le journal ne peut exister sans l’imprimerie, et rien n’était plus facile que de compter les presses qui fonctionnaient alors sur le continent américain. En 1671, soixante-quatre ans après le premier établissement des Anglais dans la Virginie, le gouverneur, sir William Berkeley, disait dans un rapport : « Grâces en soient rendues à Dieu, nous n’avons ici ni écoles gratuites, ni imprimerie, et j’espère que nous n’en aurons point d’ici cent ans ; car l’instruction a mis au monde l’indocilité, les hérésies et les sectes, et l’imprimerie a propagé, avec tous ces maux, les attaques contre les gouvernemens. » Le vœu de Berkeley faillit être exaucé ; soixante ans s’écoulèrent encore avant que la Virginie, la plus peuplée et la plus riche des colonies, eût une seule imprimerie. La plupart des autres colonies n’en eurent guère, que vers le milieu du XVIIIe siècle. Non-seulement les fondateurs des premières imprimeries avaient presque tous commencé ou complété leur apprentissage à Londres, mais ils étaient obligés de faire venir d’Angleterre leur matériel et leurs caractères. Franklin est le seul Américain qui ait pu fondre des caractères d’imprimerie avant la guerre de l’indépendance ; il y parvint par l’aiguillon de la nécessité et à l’aide de procédés de son invention.

Cependant l’imprimerie n’est pas la seule condition indispensable à l’existence d’un journal : un service de postes n’est pas moins nécessaire. À moins d’avoir une très grande ville pour berceau, le journal végète et étouffe au lieu où il a pris naissance, s’il n’a pas les moyens de se répandre au dehors et d’aller chercher au loin le curieux et l’oisif. Au commencement du XVIIIe siècle, il n’y avait en Amérique que trois localités qui méritassent le nom de villes, Boston, New-York, Philadelphie, et il n’existait aucune communication entre elles. Ces trois villes n’avaient de nouvelles les unes des autres que par les navires de Boston qui allaient aux Bermudes ou à la Jamaïque chercher le sucre, la mélasse et le rhum, et. qui, soit à l’aller, soit