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de faire une nomination sans consulter ses ministres. La lieutenance de la Tour de Londres était vacante. On décida qu’elle serait donnée à lord Rivers, qui seulement, afin de ne rien brusquer, irait solliciter l’agrément de Marlborough pour la demander à la reine. Le duc ne refusa pas, disant avec sa manière courtoise que la place était trop peu de chose pour lord Rivers ; mais, convaincu que la reine ne ferait rien sans le consulter, quand il la vit il lui proposa pour l’emploi vacant le duc de Northumberland, dont le régiment eût été donné au comte de Hertford, que la reine ne pouvait souffrir. Elle lui répondit qu’il venait trop tard, et qu’elle avait nommé lord Rivers. Marlborough surpris ne cacha pas son dépit ; mais la chose était faite.

Vers le même temps, on commençait à redire que la France faisait des propositions de paix, et quoique les conférences de La Haye n’eussent rien produit, le bruit se répandait en Europe qu’un changement dans l’opinion et dans le gouvernement de l’Angleterre allait bientôt faciliter un accommodement. Enhardie par ces circonstances ou docile aux obsessions de sa chère confidente, la reine, qui cherchait désormais les occasions de rupture, demanda à lord Marlborouh un régiment vacant par la mort du comte d’Essex pour un frère d’Abigaïl Masham. C’était un mauvais officier et un ennemi politique. Marlborough, blessé, quitta Londres et se retira à Windsor. L’affaire fit du bruit ; la chambre des communes s’en émut ; on prétendit qu’elle voterait une adresse contre les conseils et l’influence des favorites. Anne, qui avait résisté aux représentations de Godolphin, prit peur et retira sa recommandation. Elle se contenta de donner à James Hill une pension de 1,000 livres sterling, et à lui, ainsi qu’à son beau-frère Masham, le grade d’officiers généraux. Non découragée cependant par cette tentative avortée, elle écrivit à Godolphin, qui était à Newmarket, qu’elle voulait faire duc le marquis de Kent et nommer à sa place lord chambellan le duc de Shrewsbury. C’était un homme considérable, très éclairé, très aimé, mais d’un caractère inquiet et timide, et qui ne savait ni dominer ni se soumettre. Il avait épousé une Italienne, longtemps sa maîtresse, et lady Marlborough avait traité la nouvelle duchesse avec sa hauteur accoutumée, tandis que la reine, malgré sa pruderie, lui avait témoigné beaucoup de bienveillance et offert un rang à la cour. Offensé par l’une, encouragé par l’autre, Shrewsbury avait voté pour l’acquittement de Sacheverell. C’était à lui que Harley avait prié la reine de soumettre ses propositions. Consulté sur les dangers possibles d’un changement de cabinet, il avait fait les réponses les plus rassurantes, et comme il passait pour craintif, sa résolution avait affermi les courages. Le choix d’un tel nom était pour Godolphin un